Chapitre 14 - Mathieu

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Il est dix heures moins cinq et j'arrive chez Miller. Comme annoncé par Léa, je me gare un peu plus loin dans le quartier de la résidence. À deux pâtés de maison à peu près, bien que marcher ne m'enchante pas trop, je n'ai aucune envie de me crêper le chignon avec elle aussi tôt. Je suis venu jouer, non pour l'entendre se lamenter sans cesse.

En arrivant devant la résidence, je pousse le portail afin d'y entrer, mais celui-ci ne s'ouvre pas. Je jette un œil à travers pour essayer d'apercevoir quelqu'un, mais aucun mouvement ne se fait voir.

Ne me dites pas qu'elle m'a oublié.

Je me mets à chercher une sonnette ou quelque chose qui pourrait l'alerter de mon arrivée, avant d'apercevoir un interphone. Je sonne encore et encore, mais après quelques minutes, je me résigne à l'idée de n'obtenir aucune réponse. Cependant, je ne me laisse pas abattre. J'essaie de l'appeler sur son portable, mais le résultat est le même, un silence pesant. Cette fille commence sérieusement à m'exaspérer. Je n'ai pas parcouru deux foutus pâtés de maisons à pied pour qu'elle roupille tranquillement dans son lit. S'il faut que j'entre ici et la réveille de force, je le ferai !

D'autant plus si je dois franchir ce maudit portail et entrer dans la résidence. J'agrippe les barreaux et commence à escalader l'immense portail. Une fois en haut, je passe une jambe de l'autre côté de la barrière, quand soudain, le portail s'ouvre, me faisant basculer et tomber au sol. J'entends au loin un rire venant de l'entrée de la résidence. En relevant la tête, j'aperçois Miller, debout sur le perron de sa maison, riant aux éclats avec la télécommande du portail en main.

Non, mais dites-moi que c'est un cauchemar. Je me relève, la dévisageant avec frustration, avant de lancer.

— Cela t'amuse, Merida ? Tu trouves ça drôle ?

— Je pensais que tu étais plus... Comment dire, plus habile. Mais apparemment, ce n'est pas le cas.

Voyant mon mécontentement, ses rires redoublent d'intensité, au point de la faire vaciller de rire. Elle tente de se rattraper sur le mur à sa gauche afin d'éviter la chute, ce qui déclenche mon hilarité. Cette sorcière est sans pitié, même à dix heures du matin, elle a le don d'exaspérer le monde. Je me redresse et la rejoins sur le perron.

Peut-être est-elle véritablement bipolaire, oscillant entre une aigreur omniprésente et une douceur éclatante l'instant d'après, un comportement certes étrange, mais qui lui va si bien. Elle possède la tendresse de sa mère et le talent de son père, ainsi que la détermination paternelle et la beauté maternelle. Je me souviens, enfant, lorsque je voyais Monsieur Miller à travers mon écran. Je rêvais de devenir un joueur tel que lui, de l'avoir comme entraîneur et mentor. Je me souviens de l'immense déception et de la tristesse qui m'ont envahi en apprenant que sa fille serait son unique élève et qu'il ne fonderait pas d'école d'élite. Elle était devenue sa protégée au basket, un rêve que je nourrissais, mais que je n'avais pas eu la chance de réaliser avec mon propre père. J'ai toujours aspiré à faire partie de cette famille, à vivre ici, à avoir un père comme Tomas Miller. Peut-être que ma vie aurait pris un autre tournant, peut-être que je n'aurais pas sombré dans la drogue ou les combats clandestins pour survivre. Ma vie aurait sans doute été plus stable et heureuse.

— Vas-tu rester planté là à me fixer comme le psychopathe que tu es, ou comptes-tu enfin bouger ton cul ? Je ne suis pas ta portière. Retentit soudainement une voix, à travers mes pensées.

Je me tenais vraiment là, figé devant elle, la scrutant de haut en bas. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Je l'utilise pour satisfaire mes obsessions d'enfance, comme si être proche de cette fille faisait de moi un membre à part entière de sa famille. Comme si le fait d'être chez elle, de la pousser à réaliser ses rêves allait faire de moi le fils que son père aurait voulu. Je suis dérangé.

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