Chapitre 1

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Je me réveille, cette fois, dans l'ombre du soir et la lumière d'une lune éclatante. Lorsque je tourne la tête, il est toujours là, endormi, pelotonné dans un manteau bleu sombre. Il a l'air d'aller bien, malgré le coup que je lui ai infligé. D'ailleurs, pourquoi est-il encore présent? Pourquoi persiste-t-il donc à vouloir rester là? Je dois énormément compter à ses yeux. Pourtant, il ne me dit rien. J'aimerais le reconnaître. J'aimerais le nommer par son nom lorsqu'il se réveillera. J'aimerais me souvenir de ce qu'il représentait pour moi. Si j'ai tant de valeur apparente pour lui, il devait également en avoir pour moi. Je ne me rappelle pas. Les deux mains superposées sur le cœur, je ne me souviens pas. Je cherche dans ma mémoire, le plus profondément que je le peux. J'ai mal à essayer de me souvenir.

Je m'assis sur le lit blanc, perpendiculaire à celui-ci, entrecroise mes doigts sur mes genoux et j'attends. J'attends que le soleil remplace la lune dans le ciel. Après deux ou trois heures, la lune disparue, le soleil prend sa place dans le décor, par une danse lente et poétique de couleur chatoyante. Le bleu, le vert, le rose, le orangé, le violet! J'avais oublié à quel point le lever du jour pouvait être chaleureux et réconfortant.

Je porte mon attention sur le reste de la chambre, à la recherche d'un quelconque élément qui pourrait m'être familier. Rien! La pièce est désespérément blanche et sans âme, aussi triste qu'une tombe. Ce qui n'aurait pas été plus mal. J'aurais préféré mille fois être morte plutôt que de subir ce supplice de ne rien reconnaître. J'ai l'impression de ne plus être qu'une huitre vide. Tout ce qu'il y a, c'est une sorte de machine bizarre à laquelle je suis branchée par l'index. Accrochée au lit, il y a une petite table blanche orné d'un verre rempli d'un liquide translucide. Devant moi, il a un rideau bleu en papier peut-être, où alors en plastique, je ne sais pas. À vrai dire, cela pourrait être de la peau d'animal, je crois que je n'y verrais aucune différence. Je pense être tellement confuse que je n'ai pas l'impression de l'être. Comme lorsque l'on sent couler sur sa main une eau si chaude qu'elle en est froide. À ma droite, il y a une fenêtre et à ma gauche, une porte ouverte sur une petite pièce qui ne me semble pas très utile. Aux côtés de cette porte, il y a un meuble blanc que les rayons de l'aube font briller légèrement, et au-dessus, un objet de forme carré est accroché au mur et me renvoie l'image des mailles du rideau, de l'autre côté de la pièce.

Je tourne les yeux vers le garçon dans une respiration lente et aperçois ses paupières s'ouvrir peu à peu en direction de la fenêtre.

-Je vous demande pardon, je déclare, soumise.

Il tourne sa tête dans ma direction d'une rapidité surprenante et se lève de son fauteuil qui semble inconfortable lorsque l'on voit la grimace qu'il tire. Puis, il prend une chaise plus près de mon lit et prend place devant moi. Les traits de son visage sont nets et découpés, sa peau, légèrement bronzée, fait ressortir le vert profond de ses yeux. Et il sourit... d'un sourire large et assuré comme si rien jamais ne s'était passé, comme si je ne lui avais jamais fait le moindre mal. Il sourit, comme si le moment que nous étions en train de vivre était tout ce qui comptait. Il sourit comme pour me rassurer, mais cela me donne envie de pleurer.

-Pourquoi? Me demande-t-il d'un air conciliant.

-Ton dos, je réponds d'un regard désolé.

-Ce n'est rien de grave, il y a eu plus de peur que de mal, je m'en remettrai. Toi, comment te sens-tu?

Je lève la tête pour soutenir son regard inquiet. Comment peut-il bien s'inquiéter pour moi?

-Bizarre! Réponds-je quand même.

-Je comprends. Tu es amnésique, tu sais!

-Je vais mourir? Demandai-je dans un mouvement faible de panique, me redressant légèrement.

-Non, répond-t-il, un sourire en coin, sauf si tu as oublié que de traverser la rue sans regarder des deux côtés, c'est dangereux. Tu as perdu la mémoire. Tous tes souvenirs. Mais je vais t'aider à les retrouver.

Je lui souris timidement et son visage s'éclaircit tendrement. Il va m'aider! Ses yeux s'illuminent devant un air que j'ai voulu en encore avec sa proposition. Il court fouiller dans un sac, puis revient, une enveloppe jaune à la main, qu'il me tend. Je pose les yeux dessus et la prend finalement entre mes doigts. Je soulève la languette et sort le document. C'est un acte de naissance, je crois. Au centre, il y a un nom. Sorah Amore! Ce doit être moi. Ce prénom est plutôt joli. Juste à côté, en caractères plus petits, il y a le nom de... mon frère, que je lis, cette fois, à voix haute.

-Tomas !

-C'est moi! Répond ce dernier, un sourire franc aux lèvres.

Je le regarde avec surprise. Mon frère! C'est bizarre que je ne me souvienne pas de lui. Bien sûr, cela explique pourquoi il m'a prise dans ses bras lors de mon dernier réveil. Comment ai-je pu oublier quelqu'un d'aussi important dans la vie d'une sœur? La famille! Je me sens mal maintenant de le regarder comme s'il m'était étranger. Même si il m'est réellement étranger. Je le connais depuis toujours, seulement, j'ai l'impression de le rencontrer pour la toute première fois. Aucun frère ne devrait avoir à observer un tel vide et une telle confusion à son égard dans le regard de sa petite sœur. Je réalise à quel point j'ai mal de ne ressentir aucun amour fraternel à son égard, je n'ose pas m'imaginer à quel point il peut avoir mal de ne voir aucun amour pour lui au fond de mes yeux. L'Amnésie! Un fléau! C'est comme la mort! Pas vraiment, mais je le ressens de cette manière. Une mort de l'âme! Je me suis perdue moi-même. C'est peu dire, je suis amnésique et je n'ai pas seulement le sentiment de m'avoir perdu, mais d'avoir tout perdu. Je hais ma mémoire de m'avoir abandonnée. D'avoir été trop faible. Je m'en veux à moi-même de ne pas avoir eu l'esprit assez fort et d'avoir oublié mon propre frère, mon sang. Ce mal être qui m'envahit, qui me déchire de l'intérieur, qui me transcende le cœur. Pardonne-moi Tomas! Pardonne-moi d'avoir oublié, j'ignore si nous nous entendions bien, et je te demande pardon alors que... c'est impardonnable. Je baisse la tête de tristesse, et une larme coule le long de ma joue.

-Pardon!

Ses mains agrippent les miennes, poussant mon regard à soutenir le sien. Ses yeux verts sont tellement intenses et portent tout l'amour qu'il est possible pour un frère de porter à sa sœur. Le regard d'une personne qui semble déjà avoir tant perdu et qui ne souhaite pas perdre plus. Je demande pardon, mais je ne me pardonne pas moi-même. Je me sens égoïste de lui demander quelque chose que je n'oserais même pas m'accorder. Pourtant, ce léger sourire, qu'il a évidemment voulu fort et encouragent, m'arrache le cœur.

-Que m'est-il arrivé? Demandai-je finalement, brisant un silence lourd et triste.

-Les autorités t'ont trouvée, commence-t-il, couchée sur une civière, dans un entrepôt désaffecté, il y a 3 jours. Après deux semaines de recherches! On commençait à perdre espoir.

Des souvenirs meurtriersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant