Chapitre 14 : Le Tournant

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Aaric n'avait jamais imaginé que la guerre contre Bakari se déroulerait ainsi. La campagne médiatique qu'ils avaient lancée en exposant la corruption du collecteur avait eu l'effet d'une onde de choc. Les premières manifestations avaient éclaté, d'abord discrètes, puis grandissant en intensité. Des milliers de personnes avaient envahi les rues, brandissant des pancartes de protestation, scandant des slogans qui réclamaient justice et la fin des abus. La révolte qui avait couvé si longtemps dans l'ombre était enfin sortie à la lumière, mais avec elle venait une violence à laquelle ils ne s'attendaient pas.

Aaric marchait à travers les ruelles étroites, le cœur battant à tout rompre. La ville, autrefois un terrain de prospérité pour ceux comme lui, était désormais un terrain de conflits. Le changement, qu'il avait longtemps espéré, semblait avoir pris une forme qu'il ne maîtrisait plus. D'un côté, il y avait la population qui exigeait sa part de justice, de l'autre, les collecteurs de Bakari, qui se faisaient plus agressifs chaque jour.

Samuel, toujours à ses côtés, semblait moins optimiste que lui. Les premières images de répression se multipliaient sur les réseaux sociaux, des jeunes brutalement battus par les gardes du corps de Bakari. Le sang, l'humiliation, la peur — tout cela prenait forme sous ses yeux, et les décisions qu'Aaric prenait semblaient s'éloigner de plus en plus de ce qu'il avait envisagé. Samuel se tourna vers lui, le regard empli d'inquiétude.

— Tu ne crois pas que c'est devenu trop dangereux ?

Aaric s'arrêta un instant, scrutant la rue. Les bruits de la ville, les cris au loin, les klaxons, tout semblait faire écho à son propre sentiment de confusion. La révolte, bien qu'impulsée par leur mouvement, semblait échapper à tout contrôle.

— C'est exactement ce qu'il veut, répondit-il avec une calme détermination. Ils veulent que nous ayons peur, que nous reculions. Mais on ne peut pas, Samuel. Pas maintenant.

Ils continuèrent à marcher, mais Aaric savait que la situation allait dégénérer. La question n'était plus de savoir s'ils gagneraient, mais combien de vies seraient perdues en chemin.

Le soir venu, ils se retrouvèrent dans leur cachette, un petit appartement au-dessus d'un commerce de tissus. Mirembe était déjà là, assise devant un ordinateur portable, scrutant les dernières informations. Elle leva les yeux en les voyant entrer.

— Les choses s'aggravent, dit-elle d'une voix grave. La répression se durcit chaque jour. Ce matin, une vingtaine de manifestants ont été arrêtés, et certains ont disparu. Bakari a déclaré la guerre ouverte.

Aaric sentit un frisson glacial lui parcourir le dos. Cette déclaration de guerre annonçait une nouvelle phase, bien plus sanglante, de leur lutte. Il s'assit en silence, les pensées tourbillonnant dans sa tête. Il savait qu'il n'y avait plus de retour possible, mais l'enjeu était bien plus grand que tout ce qu'ils avaient imaginé.

— On doit attaquer Bakari là où ça fait mal, encore plus fort, affirma-t-il. Si on le laisse s'en sortir avec tout ça, on perdra la bataille avant même qu'elle ne commence.

Mirembe hocha la tête, déterminée.

— Tu as une idée en tête ?

Aaric les regarda tous les deux, cherchant la meilleure façon de procéder. C'était une question de timing, d'impact. Ils ne pouvaient pas se permettre de faire une erreur.

— Il faut frapper à la source. Le plus gros de l'opération, c'est Bakari lui-même. Mais avant de le toucher directement, il faut s'attaquer à ses alliés les plus proches. Ceux qui financent et protègent son empire. Il y a des noms. Des noms que nous pouvons faire sortir au grand jour.

Samuel, le regard plus sombre qu'il ne l'avait jamais été, parla alors.

— Ce n'est pas aussi simple, Aaric. Si on va trop loin, ça pourrait tout faire échouer. Si Bakari a l'intention de nous écraser, il a les moyens de le faire.

Mais Aaric n'hésita pas.

— C'est notre seul moyen de faire pression sur lui. Si ses alliés commencent à se retourner contre lui, il perdra son emprise. Et s'il perd son emprise, il sera vulnérable. Une fois qu'on le touche, tout s'effondre.

Le lendemain, ils mirent leur plan à exécution. Ils commencèrent à s'infiltrer dans les cercles proches de Bakari, accumulant des informations, rencontrant des contacts qui n'étaient pas forcément loyaux, mais suffisamment intéressés par l'idée d'une redistribution des pouvoirs. Chaque découverte les rapprochait un peu plus de l'objectif, mais la tension croissante n'était pas sans conséquence.

La veille du coup final, Aaric se retrouva seul dans sa chambre, contemplant la ville. Le contraste entre la splendeur des lumières de la ville et la réalité des rues, envahies de colère et de peur, le frappait de plein fouet. Les manifestants, les blessés, les parents des disparus — tout cela était désormais sa réalité. Ce n'était pas simplement une révolte, c'était un tournant dans l'histoire de ce pays.

Il se leva, se dirigea vers la fenêtre, et contempla les lueurs dans la nuit. Là, dans l'obscurité, il aperçut une silhouette qui passait furtivement. Il frissonna. La guerre ne se livrait pas seulement dans les rues, mais aussi dans l'ombre. La prochaine étape serait décisive. Et il savait qu'il était sur le point de franchir un point de non-retour.

Le lendemain, les informations qu'ils avaient récoltées furent publiées, accompagnées de preuves irréfutables. L'empire de Bakari vacilla sous le poids des révélations. Des hommes politiques, des hommes d'affaires, et même des policiers corrompus furent impliqués. Bakari tenta de contrer la vague, mais il était trop tard. La vérité était là, exposée, et il ne pouvait plus la cacher.

La rue réagit immédiatement. Les protestations prirent une ampleur encore plus grande. Le gouvernement fut contraint d'ouvrir une enquête. Les manifestations se multiplièrent, mais Bakari, acculé, décida de réagir de manière plus radicale. Des hommes en uniforme firent irruption dans les lieux stratégiques, cherchant à briser la résistance par la force.

Aaric, Mirembe, et Samuel se préparèrent à ce qui allait suivre. Ils savaient que le moment était venu. Mais ils ignoraient encore que leur lutte allait avoir des répercussions bien plus larges que ce qu'ils imaginaient...

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