Chapitre 9 : Premières Fissures

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Les paroles du collecteur résonnaient encore dans l'esprit d'Aaric tandis qu'il se tenait immobile face à cet homme imposant. Les vendeurs, à quelques mètres, observaient la scène en silence, leurs visages marqués par une inquiétude palpable. Personne n'osait intervenir. Mirembe, à ses côtés, posa discrètement une main sur son bras, un geste qui disait tout : Sois prudent.

— On m'a dit que tu passais beaucoup de temps ici, continua le collecteur d'une voix sourde. À poser des questions, à parler aux gens. Ça ne me plaît pas.

Aaric, malgré une boule d'anxiété dans l'estomac, força sa voix à rester calme.

— Je ne fais rien de mal. J'essaie simplement de comprendre la vie de ces gens.

L'homme rit, un rire sec et dénué de chaleur.

— Comprendre, hein ? Eh bien, laisse-moi t'expliquer quelque chose. Ici, les choses fonctionnent d'une certaine manière. Ceux qui s'en mêlent finissent souvent par regretter leur curiosité.

Le collecteur le fixa un instant de plus, puis fit un signe de tête à ses hommes avant de tourner les talons. En quelques instants, ils disparurent dans la pénombre du marché, laissant derrière eux une tension presque palpable.

Mirembe souffla longuement.

— Tu vois ce que je veux dire ? Ces types ne plaisantent pas, Aaric. Tu es peut-être prêt à prendre des risques, mais eux, ils ne te laisseront pas faire.

— Je ne vais pas reculer, répondit-il fermement. Si je le fais, ils continueront à terroriser tout le monde.

Elle le regarda, une lueur mêlée d'admiration et d'inquiétude dans les yeux.

— Alors prépare-toi à ce que les choses deviennent beaucoup plus compliquées.

Les jours suivants furent marqués par une tension croissante. Aaric continua de visiter le marché, mais il sentait les regards pesants des collecteurs à chaque coin de rue. Leur présence, auparavant discrète, était désormais constante, comme s'ils cherchaient à le surveiller ou à l'intimider.

Cependant, cette pression ne fit que renforcer sa détermination. Avec l'aide de Mirembe, il organisa une première réunion dans un espace désaffecté près du marché. Une dizaine de vendeurs y participèrent, certains hésitants, d'autres animés par un mélange de curiosité et de frustration.

— Ce n'est pas juste, déclara une vieille femme à l'assemblée. Cela fait plus de vingt ans que je vends ici, et ces hommes n'ont fait qu'aggraver nos conditions de vie. Mais si on se dresse contre eux, qu'est-ce qui nous garantit qu'ils ne nous détruiront pas ?

Aaric répondit calmement :

— C'est vrai, c'est risqué. Mais si nous ne faisons rien, leur emprise ne fera que s'intensifier. Ensemble, nous sommes plus forts qu'eux. Individuellement, nous sommes vulnérables, mais unis, ils ne pourront pas nous briser.

Les murmures dans la salle reflétaient un mélange d'accord et de peur. Mirembe intervint, sa voix ferme et rassurante.

— Aaric a raison. On a le choix : continuer à subir ou trouver un moyen de reprendre le contrôle de nos vies. Ce n'est pas une décision facile, mais c'est nécessaire.

Cette première réunion marqua un tournant. Les vendeurs commencèrent à envisager la possibilité d'une résistance collective, même si l'ombre des collecteurs pesait lourdement sur leurs esprits.

Quelques jours plus tard, Aaric eut l'idée de solliciter l'aide de personnes extérieures au marché, notamment des avocats ou des organisations locales. Il s'était renseigné sur une association de défense des droits des petits commerçants opérant dans une autre ville du pays. Avec l'aide de Mirembe, il établit un contact et organisa une rencontre.

La réunion se déroula dans un café discret de la ville. Aaric et Mirembe rencontrèrent un homme d'une quarantaine d'années, Samuel, qui dirigeait l'association. Son regard perçant et sa voix grave dégageaient une autorité naturelle.

— Vous êtes courageux de vouloir affronter ces collecteurs, commença Samuel. Mais laissez-moi être franc : ce n'est pas une bataille facile. Ces hommes ont souvent des connexions haut placées. Ils ne se contentent pas d'intimider les vendeurs ; ils ont le soutien de certaines figures influentes.

Aaric n'était pas surpris. Il avait deviné que la corruption jouait un rôle dans le système, mais l'entendre confirmé lui donna un frisson d'appréhension.

— Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ? demanda-t-il.

— La clé, c'est de documenter tout ce qu'ils font : les menaces, les extorsions, les violences. Si vous rassemblez assez de preuves, vous pourrez peut-être attirer l'attention de la presse ou de certaines autorités. Mais ça prendra du temps, et ce ne sera pas sans danger.

Mirembe échangea un regard avec Aaric.

— Nous sommes prêts à prendre ce risque, dit-elle.

À son retour au marché, Aaric trouva une ambiance encore plus tendue. Les collecteurs semblaient avoir compris que quelque chose se tramait. Ils étaient devenus plus agressifs, confisquant des marchandises à la moindre excuse et imposant des "amendes" arbitraires.

Un soir, alors qu'il rentrait chez lui, Aaric remarqua une voiture noire garée près de sa maison. Deux hommes à l'allure intimidante se tenaient à proximité. Ils ne dirent rien, mais leur présence suffisait à envoyer un message clair : il était surveillé.

Malgré tout, Aaric refusa de céder à la peur. Il poursuivit ses efforts pour rallier les vendeurs et collecter des preuves contre les collecteurs. Il se rendait compte que ce combat n'était pas seulement une question de justice pour le marché ; c'était aussi un combat intérieur. Pour la première fois de sa vie, il sentait qu'il faisait quelque chose de significatif, quelque chose qui allait au-delà de ses privilèges.

Cependant, les premiers signes de danger tangible se manifestèrent quelques jours plus tard. L'un des vendeurs ayant participé à la réunion fut agressé en pleine nuit. Bien qu'il ait survécu, il était terrifié à l'idée de représailles supplémentaires et annonça qu'il ne voulait plus être impliqué.

La nouvelle se propagea rapidement dans le marché, semant la panique parmi les autres vendeurs. Mirembe était furieuse.

— Ils essaient de briser notre volonté, dit-elle à Aaric. Ils savent qu'en instillant la peur, ils peuvent nous diviser.

— Alors il faut leur montrer qu'on ne reculera pas, répondit-il, bien que l'inquiétude dans sa voix trahisse ses propres doutes.

Une autre réunion fut organisée, mais cette fois, l'ambiance était différente. La peur était omniprésente, et même les plus motivés semblaient hésitants. Aaric sentit le poids de la responsabilité peser lourdement sur ses épaules. Il avait initié ce mouvement, mais il commençait à comprendre l'ampleur du défi.

Mirembe prit la parole, sa voix empreinte de passion.

— Je sais que vous avez peur. Moi aussi, j'ai peur. Mais si on abandonne maintenant, on leur donne exactement ce qu'ils veulent. On ne peut pas les laisser gagner.

Ses paroles semblèrent rallumer une lueur d'espoir chez certains, mais pas chez tous. La réunion se termina sur une note incertaine.

Aaric, assis seul après le départ de tous, se demanda s'il avait fait le bon choix. Était-il allé trop loin ? Avait-il mis ces gens en danger pour un combat qu'il ne pouvait pas gagner ?

Mais en repensant à tout ce qu'il avait vu et appris, il réalisa qu'il n'avait plus de retour en arrière possible. Le changement était difficile, mais il était nécessaire. Et il était prêt à tout sacrifier pour faire une différence.

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