Chapitre 18 : Les Enfants du Vent

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Les jours suivants, Aaric se sentit pris dans un tourbillon d'incertitude. Chaque rencontre avec Mirembe et Samuel semblait le mener plus profondément dans un labyrinthe de mystères, un monde qui lui était étranger, où les règles semblaient se plier et se déformer à chaque coin. Bien qu'il fût né dans l'abondance et que sa vie ait toujours été marquée par un confort absolu, il sentait maintenant que ce monde-là, celui qu'il avait connu et auquel il appartenait, n'était plus qu'une illusion.

Il se réveillait chaque matin avec un malaise, une sensation de vide qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. C'était comme si tout ce qu'il avait cru, tout ce qu'il avait pris pour acquis, se disloquait sous ses pieds. La richesse, la gloire, le pouvoir — tout cela lui apparaissait désormais comme une fumée fragile, prête à se dissiper au moindre souffle. Ce qu'il avait considéré comme des victoires étaient en réalité des batailles sans fin, des distractions qui ne faisaient que masquer une vérité bien plus sombre. Il avait l'impression que le monde dans lequel il évoluait avait toujours été une fiction, une mise en scène destinée à le maintenir dans un état d'aveuglement.

Mirembe, quant à elle, semblait porter le poids de la situation avec une aisance presque inquiétante. Elle ne semblait jamais hésiter, jamais vaciller. Elle connaissait les rouages de ce monde de l'ombre mieux que quiconque, et chaque action qu'elle entreprenait était calibrée, précise. Elle savait où il fallait frapper et quand, et elle savait aussi que l'heure était venue de frapper fort, avant que les enfants du vent ne s'immiscent encore plus dans les sphères de pouvoir du pays.

"Tout est une question de timing", lui avait dit Samuel un soir. "Si nous agissons trop tôt, nous risquons de tout perdre. Si nous agissons trop tard, nous serons absorbés par leur influence."

Aaric avait l'impression de marcher sur un fil tendu, la moindre fausse décision pouvant entraîner sa chute. Mais c'était précisément ce genre de tension qu'il recherchait. Quelque part au fond de lui, il savait qu'il avait besoin de ce défi, de ce combat. Peut-être même que cette quête contre l'invisible était la seule chose qui le maintenait encore en vie, dans ce monde devenu trop monotone.

Il y avait aussi cette étrange sensation qui s'était emparée de lui chaque fois qu'il pensait à la "classe populaire", à ces hommes et femmes qui, contrairement à lui, n'avaient jamais connu ce luxe. Ils vivaient dans une réalité que lui-même n'avait jamais pu comprendre, un monde où chaque décision comptait, où chaque centime, chaque mouvement, avait un impact direct sur leur survie. Ils étaient les invisibles de la société, ceux qui vivaient dans les ombres des gratte-ciel où les puissants se gavaient de tout ce que la vie pouvait offrir.

Aaric se demandait comment il pouvait espérer comprendre ce monde, lui qui n'avait jamais eu à faire face à de réelles difficultés. Comment un homme comme lui, né avec tout ce qu'il voulait, pouvait-il prétendre savoir ce que c'était que de vivre dans l'incertitude, dans la lutte quotidienne pour la survie ? Mirembe et Samuel lui avaient fait comprendre que tout était lié : l'élite, la classe populaire, les enfants du vent — tout faisait partie d'un système complexe, d'une toile d'araignée dont les fils étaient invisibles à l'œil nu.

Aaric s'était un jour rendu dans l'un de ces quartiers populaires, juste pour voir. Il avait marché dans des rues qu'il n'avait jamais osé fouler auparavant. Des ruelles étroites, des bâtiments en ruine, des habitants aux visages fermés, méfiants. C'était un autre monde. Le bruit des moteurs, les cris des enfants, les discussions animées dans les cafés de fortune. Les gens se battaient pour chaque petit instant de répit, pour chaque sourire, pour chaque occasion d'échapper à la misère. C'était un monde sale, bruyant, effervescent, mais aussi d'une humanité brute qu'il n'avait jamais connue.

"Tu vois, ce monde-là, il ne te pardonne rien", lui avait dit Mirembe en le regardant depuis l'autre côté de la rue. "Mais c'est aussi là que se cachent les véritables forces de la société. Les vrais acteurs, ceux qui manipulent les ficelles du pouvoir."

Aaric n'avait jamais compris la signification de ces mots jusqu'à ce qu'il les vive en personne. Il avait vu des femmes qui vendaient leur corps pour nourrir leurs enfants, des hommes qui se battaient pour quelques centimes, des familles qui se déchiraient pour des miettes. Il avait ressenti la douleur, la peur et l'espoir qui se mêlaient dans chaque regard. C'était un autre pays, une autre réalité. Et plus il voyait, plus il se rendait compte que la façade qu'il avait connue était une construction, une illusion.

Mais plus il se plongeait dans cette réalité, plus il se retrouvait à devoir faire face à ses propres contradictions. Il avait le pouvoir de changer les choses, mais il se demandait s'il en avait la volonté. S'il était prêt à sacrifier ce qu'il avait pour s'engager dans cette guerre invisible. Il se demandait aussi quel prix il aurait à payer pour ces choix.

La nuit précédant leur grande opération, alors qu'ils s'étaient réunis dans un endroit sûr pour discuter de la suite, Mirembe avait une expression sombre sur le visage.

"Il y a une chose que vous devez comprendre avant tout, dit-elle, les yeux fixés sur Aaric. Cette bataille ne concerne pas seulement la politique. Il s'agit de bien plus que ça. C'est une lutte pour l'âme du pays, pour son avenir. Et à un moment donné, chacun de nous devra faire un choix. Un choix difficile."

Samuel, assis à côté d'elle, acquiesça gravement.

"Il n'y a pas de retour en arrière. Vous devez comprendre ça."

Aaric les regarda, un frisson parcourant son échine. Il savait que le moment de vérité approchait, et que, quel que soit le choix qu'il ferait, il ne pourrait plus jamais revenir en arrière.

Les enfants du vent, ces spectres invisibles, avaient tissé leurs fils dans la trame même de la nation. Mais dans l'ombre, quelque chose se préparait. Et ce combat allait bouleverser tout ce qu'il croyait savoir.

Aaric se leva lentement, le regard déterminé. Il savait que la tempête arrivait. Et il n'était pas prêt à la fuir.

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