Le marché baignait dans une atmosphère lourde de tension. Le moindre bruit semblait amplifier la méfiance générale. Les collecteurs, plus nombreux et plus agressifs, patrouillaient comme des prédateurs, cherchant à déceler les signes d'insubordination. Aaric le savait : le statu quo ne tiendrait plus longtemps. Les vendeurs étaient à bout, mais ils avaient aussi peur de franchir une ligne irréversible.
Ce matin-là, Aaric et Mirembe s'étaient discrètement retrouvés dans un petit café à l'écart du marché. Samuel, le dirigeant de l'association qu'ils avaient contactée, les rejoignit quelques minutes plus tard. Sa chemise blanche immaculée contrastait avec l'austérité du lieu, mais son ton était grave.
— J'ai étudié vos notes, vos témoignages, dit-il en dépliant un épais dossier sur la table. Ce que vous faites est admirable, mais il faut agir vite. Les collecteurs sentent le changement, et ça les rend dangereux.
Aaric croisa les bras, pensif.
— Vous parlez de documentation, mais cela ne semble pas suffisant. Même avec des preuves, qui nous écoutera ? Ces hommes ont le bras long.
Samuel posa ses coudes sur la table, son regard perçant.
— Vous avez raison, mais c'est là qu'intervient une autre solution : l'opinion publique. Si nous attirons l'attention des médias ou mobilisons un soutien de masse, cela pourrait forcer certaines figures influentes à intervenir. Mais cela demande une prise de risque.
Mirembe fronça les sourcils.
— Quel genre de risque ?
Samuel esquissa un sourire désolé.
— Organiser une grève. Une manifestation pacifique mais visible. Montrez que vous êtes unis et que vous refusez de vous soumettre à leur intimidation. Cela enverra un message puissant.
Aaric sentit une vague de doute. La peur des représailles pesait lourd, mais il comprenait que l'heure n'était plus à l'hésitation.
— Très bien, dit-il finalement. On le fera.
Les jours suivants furent consacrés à l'organisation. Aaric et Mirembe passèrent de longues heures à convaincre les vendeurs de participer. Certains hésitaient encore, terrifiés par l'idée de perdre ce qui leur restait, mais d'autres, galvanisés par la détermination du duo, commencèrent à rallier la cause.
— Nous avons toujours vécu avec cette peur, déclara un vieux marchand de légumes lors d'une réunion clandestine. Mais si nous continuons comme ça, nos enfants vivront la même chose. Moi, je suis prêt à me battre.
Ces mots semblèrent réveiller quelque chose dans l'assemblée. Lentement mais sûrement, une énergie nouvelle se mit à circuler parmi eux. Aaric, bien qu'épuisé, sentit une pointe d'espoir. Pour la première fois, il entrevoyait une lueur au bout du tunnel.
Le jour de la grève, le marché était étrangement silencieux. Les étals, habituellement animés par des échanges bruyants et des éclats de rire, étaient vides. Les vendeurs s'étaient rassemblés à l'entrée principale, formant une masse compacte et résolue. Certains brandissaient des pancartes improvisées, tandis que d'autres scandaient des slogans exigeant la fin des extorsions.
Mirembe, debout au centre de la foule, tenait un mégaphone. Sa voix forte résonnait dans l'air du matin.
— Aujourd'hui, nous disons non ! Non à l'injustice, non à la peur, non à ceux qui exploitent notre travail pour s'enrichir !
Les applaudissements et les cris d'approbation retentirent, emplissant Aaric d'une fierté mêlée d'appréhension. Il savait que cette démonstration de force attirerait l'attention des collecteurs, mais il espérait que leur nombre dissuaderait toute violence.
Cependant, leurs espoirs furent rapidement mis à l'épreuve.
À peine une heure après le début de la grève, une voiture noire fit irruption près de l'entrée du marché. Trois hommes en descendirent, suivis de plusieurs autres qui arrivèrent à pied. Parmi eux, le collecteur que Aaric avait affronté quelques jours auparavant. Il s'avança lentement, les mains dans les poches, un sourire glacial sur le visage.
— Vous pensez vraiment que ça va marcher ? lança-t-il en haussant la voix. Vous croyez qu'une bande de petits vendeurs peut changer quoi que ce soit ?
La foule recula instinctivement, mais Aaric fit un pas en avant. Mirembe posa une main sur son épaule pour l'arrêter, mais il la repoussa doucement.
— Ce que nous croyons, c'est que vous ne pouvez pas continuer à nous exploiter indéfiniment, répondit-il d'une voix ferme. Regardez autour de vous. Nous sommes nombreux. Plus nombreux que vous. Et nous ne reculerons pas.
Le collecteur haussa un sourcil, visiblement amusé par la bravoure d'Aaric. Il claqua des doigts, et deux de ses hommes s'avancèrent. Avant que quiconque ne puisse réagir, ils attrapèrent un jeune vendeur près de l'avant de la foule et le traînèrent violemment à l'écart.
— C'est ça que vous voulez ? gronda le collecteur. Vous voulez jouer les héros ? Très bien. Mais souvenez-vous : chaque action a des conséquences.
La tension dans l'air était insoutenable. Mirembe, tremblante de rage, attrapa le mégaphone.
— Si vous touchez à un seul d'entre nous, nous ferons en sorte que tout le monde sache ce que vous faites. Les journaux, les autorités... Vous ne pourrez plus vous cacher.
Le collecteur fixa Mirembe, puis éclata de rire.
— Très bien. On va voir combien de temps vous tiendrez.
Sur ces mots, il fit un signe à ses hommes, qui relâchèrent le jeune vendeur avant de quitter les lieux, leur regard promettant de futures représailles.
Bien que la confrontation se soit terminée sans violence majeure, l'incident eut un effet divisant. Certains vendeurs, effrayés par ce qui pourrait arriver, décidèrent de ne plus participer à la grève. D'autres, au contraire, furent renforcés dans leur détermination.
Aaric, de retour chez lui ce soir-là, se retrouva à contempler le plafond, incapable de trouver le sommeil. Il avait sous-estimé l'ampleur de ce combat. Mais en même temps, il savait qu'il ne pouvait plus reculer. Chaque petit pas vers la justice, aussi difficile soit-il, était un pas dans la bonne direction.
Mirembe, assise à ses côtés, murmura :
— On savait que ce serait dur. Mais on avance, Aaric. Et c'est tout ce qui compte.
Ses paroles, bien que simples, résonnèrent profondément en lui. Il savait que le chemin serait encore long et semé d'embûches, mais pour la première fois depuis longtemps, il se sentait vivant. Il n'était plus ce fils d'une famille riche, éloigné des réalités de la vie. Il était Aaric, et il se battait pour quelque chose qui comptait vraiment.
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La raison
RandomL'histoire suit un jeune homme né dans l'abondance, qui a toujours eu tout ce qu'il désirait sans jamais se soucier des autres. Mais un jour, après une rencontre marquante avec une femme qui vend son corps pour survivre, il se rend compte de la supe...