Aaric ne savait pas exactement ce qu'il cherchait ce matin-là. Il n'avait pas de plan précis, mais une chose était sûre : il ne voulait plus seulement observer. Il voulait comprendre. Il voulait s'immerger dans la réalité d'une vie qui lui était étrangère, une vie que la plupart des gens, comme lui, regardaient de loin, sans jamais chercher à la toucher. Mais quelque chose en lui avait changé. Cette rencontre avec le vieil homme de Bakwa avait agi comme un catalyseur, un éveil brusque. Et il était déterminé à suivre cette nouvelle voie.
Ce matin-là, il se rendit donc dans le marché central de la ville, un lieu bondé où les couleurs, les bruits et les odeurs se mêlaient dans un tourbillon. Ce marché était un cœur battant de la ville, un lieu de vie intense où tout le monde se croise : des commerçants, des ouvriers, des étudiants, des mères, des enfants. Ici, les gens n'avaient pas peur de se montrer tels qu'ils étaient. Il y avait un réalisme brut qui frappait Aaric dès qu'il pénétra dans l'agitation. Les étals étaient pleins de produits locaux : fruits, légumes, poissons frais, viandes. Les vendeurs criaient leurs prix à qui voulait les entendre, rivalisant de générosité dans leur marchandage. Tout semblait en perpétuel mouvement.
Aaric se fraya un chemin entre les étals, observant attentivement les gens autour de lui. Il remarqua une jeune femme qui semblait se déplacer avec une fluidité presque surnaturelle dans cette foule dense. Ses yeux brillaient d'une lueur déterminée, et son sourire était plein de cette joie simple que l'on trouve chez ceux qui ne possèdent rien, mais qui sont riches de l'essentiel. Elle portait des vêtements modestes, un simple t-shirt délavé et une jupe en coton, mais elle semblait être en paix avec elle-même. Elle ne paraissait pas accablée par la dureté de la vie, même si ses mains montraient les signes d'un travail acharné.
Elle s'arrêta à un étal de fruits, et Aaric s'approcha, attiré par cette aura tranquille qui émanait d'elle. Il n'avait pas encore parlé à une personne comme elle, pas dans ces circonstances. Il savait qu'il avait une chance unique de comprendre cette vie qui lui échappait.
— Bonjour, dit-il en s'approchant doucement. Vous aimez ces fruits ?
Elle tourna la tête, surprise, mais son regard se radoucit aussitôt. Elle le fixa un instant, puis répondit d'un ton calme et posé :
— Oui, ce sont les meilleurs fruits de tout le marché. Ces mangues viennent du village à côté. Elles sont sucrées, j'en mange tous les jours.
Aaric sourit, intrigué par sa simplicité et sa franchise. Elle n'avait pas l'air gênée par sa présence, comme s'il était une personne ordinaire, sans distinction.
— J'ai l'impression que vous connaissez ce marché mieux que moi, dit-il, un peu maladroit. Vous y venez souvent ?
— Tous les jours, en effet. Je suis née ici, c'est mon lieu de travail, de vie. J'y ai grandi, dit-elle, en esquissant un sourire.
Aaric la regarda un moment, cherchant ses mots. Il se sentait curieux, presque émerveillé par sa tranquillité, sa capacité à être présente dans l'instant. C'était comme si elle ne se laissait pas distraire par les difficultés de la vie, mais les acceptait simplement.
— Vous êtes... vendeuse ici ? demanda-t-il, encore en train de s'adapter à la réalité de cet environnement.
— Oui, je vends des fruits, et parfois des légumes. Mais j'ai d'autres petites activités. Vous savez, il faut se débrouiller pour joindre les deux bouts. Chaque jour apporte son lot de défis, mais on s'adapte.
Aaric n'avait jamais vu la vie sous cet angle. Pour lui, la notion de "débrouillardise" semblait appartenir à un autre monde, un monde où l'on se levait chaque jour avec l'incertitude de savoir si l'on allait manger, où l'on vivait sans savoir si l'on allait réussir à sortir du cycle. Il avait toujours eu tout ce dont il avait besoin. Pour lui, le seul défi avait été d'accomplir ses ambitions professionnelles, de réussir à maintenir son statut, à s'imposer dans le cercle des gens puissants.
— Vous semblez sereine, malgré tout ce que vous avez à gérer chaque jour, observa-t-il, intrigué.
Elle haussa les épaules, un geste léger, presque imperceptible, mais qui en disait long.
— La vie est dure, mais on s'y fait. On ne choisit pas toujours les cartes qu'on nous donne, mais on apprend à jouer avec. Ce n'est pas facile, mais il y a toujours des raisons de sourire. Si on cherche bien.
Les paroles de la jeune femme résonnèrent profondément dans l'esprit d'Aaric. Il se rendait compte qu'il n'avait jamais eu à lutter pour les choses simples de la vie. Tout lui avait été donné sur un plateau d'argent. Ses relations, ses opportunités, son confort matériel. Mais jamais il n'avait eu à se battre pour un sourire, pour une journée de travail, pour la dignité dans l'effort. Il n'avait jamais eu à "jouer avec les cartes" qu'on lui donnait, parce qu'il avait toujours eu les meilleures.
— Vous vous appelez comment ? demanda-t-il finalement, incapable de contenir sa curiosité.
— Mirembe, répondit-elle avec un léger sourire. Et vous ?
— Aaric.
Le regard de Mirembe s'attarda sur lui quelques secondes, comme si elle essayait de comprendre quelque chose qu'elle ne pouvait pas saisir immédiatement. Mais au lieu de poser des questions, elle se contenta d'un sourire léger, comme si elle savait déjà tout ce qu'il fallait savoir.
— Vous êtes ici pour visiter ? demanda-t-elle, curieuse.
Aaric hésita. Ce mot "visiter" le perturba. Il ne venait pas ici comme un touriste. Il venait pour comprendre, pour expérimenter, pour changer. Mais il ne savait pas comment l'exprimer.
— Oui, j'essaie de comprendre, répondit-il finalement, plus pour lui-même que pour elle. De comprendre comment les gens ici vivent, ce qui vous motive chaque jour.
Elle sourit à nouveau, un sourire plein de bienveillance.
— C'est la vie qui nous motive, Aaric. C'est simple, mais c'est tout ce qu'il faut. Vous comprendrez peut-être un jour, mais il ne suffit pas de regarder, il faut aussi apprendre à vivre. Vous ne trouverez pas de réponses en observant seulement. Il faut se lancer.
Ses mots frappèrent Aaric avec une force inattendue. Elle avait raison. Il pouvait regarder, observer, et même comprendre des choses intellectuellement, mais il ne pouvait pas saisir toute la profondeur de ce monde tant qu'il ne se mettait pas lui-même en action, tant qu'il ne vivait pas ce que les autres vivaient.
Mirembe reprit son activité, recommençant à échanger des fruits avec un client. Aaric resta un moment, observant la fluidité de ses gestes, la facilité avec laquelle elle interagissait avec les autres. Il se sentit soudainement vulnérable, un peu comme un intrus dans un monde qui lui était encore étranger, mais étrangement accueillant.
Il ne savait pas encore ce qu'il chercherait exactement, mais il avait l'intuition que ce voyage au cœur de la réalité populaire allait changer sa vie de façon irréversible.
Le vent léger qui soufflait dans la rue emporta avec lui le bruit des échanges commerciaux, mais la rencontre avec Mirembe laissa une empreinte durable dans l'esprit d'Aaric. Ce qu'elle lui avait dit résonnait encore dans ses oreilles : "Il faut vivre, pour comprendre." Et c'était exactement ce qu'il comptait faire.
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La raison
AcakL'histoire suit un jeune homme né dans l'abondance, qui a toujours eu tout ce qu'il désirait sans jamais se soucier des autres. Mais un jour, après une rencontre marquante avec une femme qui vend son corps pour survivre, il se rend compte de la supe...