Chapitre 19 : L'éveil d'une conscience

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L'air était lourd cette nuit-là. Les rues de la ville semblaient plus sombres qu'à l'accoutumée, comme si le ciel lui-même retenait son souffle. Aaric se tenait à la fenêtre d'un petit appartement du centre-ville, contemplant les lumières vacillantes en contrebas. Derrière lui, Mirembe et Samuel discutaient à voix basse, des cartes étalées sur la table, des plans tracés à l'encre noire.

Le poids des derniers jours s'était intensifié, mais Aaric sentait quelque chose de différent en lui. Une flamme. Ce sentiment d'être connecté à un monde qu'il avait ignoré toute sa vie. Pourtant, il savait aussi que cette flamme risquait de le consumer.

« Tu réfléchis encore ? » demanda Samuel sans détour, interrompant le cours de ses pensées.

Aaric se retourna, hésitant. « J'essaie de comprendre. Comment fait-on pour se battre contre quelque chose qu'on ne voit pas ? »

Mirembe leva les yeux de la carte, une étincelle dans le regard. « On ne combat pas l'ombre avec des armes. On expose sa lumière. Ces enfants du vent que tu crains... Ils se nourrissent de la peur et du silence. Il suffit d'un mouvement, d'une étincelle, pour tout faire vaciller. »

Aaric se rapprocha, regardant les plans qu'ils avaient dessinés. Un détail lui échappait encore. « Mais pourquoi moi ? Pourquoi me mêler à ça ? Vous savez que je ne suis pas comme vous. Je ne connais rien de ce monde. »

Samuel se leva brusquement, le toisant de toute sa hauteur. « C'est précisément pour ça que tu es là. Ton nom, ton statut, ta place dans leur monde — c'est ton arme. Tu es né de l'autre côté, Aaric. Si quelqu'un peut briser leurs défenses, c'est toi. »

Mirembe posa une main ferme sur l'épaule d'Aaric. « Demain, nous frappons un premier coup. Une cible clé. Tu seras notre accès. »

Il regarda le papier qu'elle lui tendait. C'était une invitation, écrite à la main, à un gala exclusif où se réunirait une partie de l'élite du pays. Ce genre d'événements, Aaric les connaissait par cœur. Mais cette fois, il n'était pas invité pour y briller.

« Infiltrer un gala ? Vous voulez rire... Ils me connaissent tous. Si je fais un faux pas, c'est fini. »

Samuel croisa les bras, un sourire ironique sur le visage. « C'est pour ça que tu ne dois pas faire de faux pas. C'est là que tout commence, Aaric. »

La vérité était claire. Ce gala n'était qu'un prétexte. Derrière les portes dorées, des accords secrets seraient signés, des alliances scellées, des destins brisés. Les enfants du vent y auraient leurs pions, invisibles mais omniprésents.

Le lendemain soir, Aaric était habillé de son plus beau costume, un masque d'assurance collé sur le visage. À son bras, Mirembe était méconnaissable. Sa robe noire, élégante mais discrète, la faisait passer pour l'une des nombreuses compagnes mondaines. Ils étaient un couple parfait en apparence, mais sous cette façade se cachait une tension palpable.

En entrant dans la salle de bal, Aaric ressentit immédiatement l'ambiance oppressante. Les conversations étaient feutrées, les sourires affûtés. Ces gens, il les connaissait : banquiers, politiciens, magnats de l'industrie. Ils l'accueillirent avec leur habituelle politesse mielleuse, inconscients de la tempête qu'il portait en lui.

Mirembe murmura à son oreille. « Souviens-toi, tu es ici pour écouter, pas pour parler. Trouve-les. Ceux qui bougent les fils. »

Aaric hocha la tête et se fondit dans la foule, son regard balayant la pièce. Il repéra rapidement plusieurs visages familiers, mais une table en particulier attira son attention. Elle était située à l'arrière de la salle, presque cachée dans l'ombre.

Il s'y dirigea lentement, feignant la désinvolture, et entendit des bribes de conversation. Les mots lui glacèrent le sang : "réorganisation", "fonds détournés", "projet de privatisation".

Mirembe avait raison. C'était ici que tout se jouait.

Alors qu'il s'approchait un peu plus près, une voix derrière lui le fit sursauter.

« Aaric ! Quelle surprise de te voir ici. »

Il se retourna et se retrouva face à Victor Mbaye, un puissant homme d'affaires qu'il connaissait depuis son enfance.

« Victor, quelle coïncidence », répondit Aaric avec un sourire forcé.

Victor le fixa, un air méfiant dans les yeux. « Je ne t'ai pas vu depuis longtemps. Tu te fais discret. Mais je suppose que tu es ici pour les mêmes raisons que nous tous. »

Aaric haussa les épaules, jouant l'innocent. « Et quelles raisons, exactement ? »

Victor sourit, mais son regard était froid. « Le pouvoir, bien sûr. Quoi d'autre ? »

Un frisson traversa Aaric. Il savait qu'il devait choisir ses mots avec soin. Ce jeu d'apparences, il l'avait toujours maîtrisé, mais ce soir, il jouait pour sa survie.

De retour au petit appartement après le gala, Aaric était tendu. Mirembe et Samuel attendaient ses nouvelles avec impatience.

« Alors ? » demanda Mirembe.

Aaric s'assit, l'air sombre. « Ils ne se cachent même pas. Ils parlent de privatiser les infrastructures publiques pour leur profit personnel. Ils veulent détourner des millions. Tout cela sous prétexte de 'modernisation'. »

Samuel serra les poings. « Les enfants du vent sont là. C'est leur signature. »

Mirembe posa un dossier devant Aaric. « Tu as fait le premier pas. Maintenant, il faut les exposer. »

Aaric ouvrit le dossier, mais ses mains tremblaient. Il savait que ce qu'il s'apprêtait à faire ne le mettrait pas seulement en danger, mais aussi tout ce qu'il avait connu jusque-là.

Il releva les yeux vers Mirembe et Samuel, et pour la première fois, il prononça ces mots :

« Je suis prêt. »

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