Les Arcanes Vagabondes

Une poupée brisée

Viktor serrait les dents avec une force qu'il ne se connaissait pas, les muscles de sa mâchoire tendus alors que son regard refusait obstinément de se détourner du papier. Chaque trait qu'il traçait devenait un véritable combat pour maintenir son calme. Ce n'était pas simplement la posture provocante de Némésis, allongée sur le canapé, mais la façon dont elle bougeait lentement, presque inconsciemment, qui le mettait à l'épreuve.

Elle avait posé sa main sur sa hanche, et ses doigts glissaient doucement sur la courbe de sa peau à travers le tissu fin de son pyjama, comme si elle-même n'était pas consciente de son geste. Mais Viktor, lui, voyait tout. Il aurait voulu ignorer, mais il sentait chaque détail brûler dans sa vision périphérique, et il n'arrivait pas à se détacher de cette image. Sa concentration vacillait, et il sentit une chaleur étouffante monter en lui, une tension qu'il n'avait jamais connue auparavant.

Némésis, bien sûr, avait remarqué son malaise. Elle le voyait dans la crispation de ses traits, dans la façon dont il serrait un peu trop fort son crayon. Et cela l'amusait, sans doute, mais au-delà de ça, il y avait une sorte de fascination dans son regard, un intérêt qu'elle ne s'expliquait pas complètement. Elle le regardait travailler, ses yeux sombres fixés sur lui avec intensité. Puis, après un long silence, elle prit la parole.

— Alors, Viktor, dit-elle d'un ton presque nonchalant, bien qu'un éclat curieux brillât dans ses yeux. Tu as trouvé quelque chose ? Dans le bureau d'Esmée, je veux dire. Avec Jayce. Quand je suis partie...

Elle laissa sa phrase en suspens, mais Viktor comprit où elle voulait en venir. Elle parlait, bien sûr, de ce moment au bal, où tout avait basculé. Esmée, l'informatrice de Kael, avait fini morte sous ses yeux, tuée par Némésis elle-même dans un accès de rage froide. Il se souvenait encore du sang qui avait éclaboussé le sol, de la lueur glaciale dans les yeux de la jeune femme à ce moment-là. Une part de lui ne pouvait s'empêcher de voir Némésis comme un mystère dangereux, mais une autre part... Une autre part la comprenait, et peut-être même l'admirait.

Il déglutit difficilement, essayant de reprendre le contrôle de sa voix.

— Des lettres, finit-il par dire. Elles contiennent des messages codés. Des échanges entre Esmée et Kael. Jayce et moi essayons toujours de les décrypter.

Il la regarda, espérant capter une réaction, mais son visage resta fermé. Elle fronça légèrement les sourcils, réfléchissant à ce qu'il venait de dire.

— Des lettres, répéta-t-elle doucement, presque pour elle-même. Et dedans ? Rien de clair ?

Viktor secoua la tête.

— Non, rien encore. Elles mentionnent des lieux, peut-être des rendez-vous, mais tout est codé. Esmée était plus prudente qu'il n'y paraît.

Un silence tendu s'installa. Viktor regarda Némésis, allongée face à lui, et il devina que sa colère était de retour. Pas contre lui, mais contre ce réseau qui semblait insaisissable, contre Kael, et peut-être aussi contre elle-même. Elle détourna légèrement les yeux, ses doigts effleurant inconsciemment sa hanche, tandis qu'un éclat sombre passait dans son regard.

— Ça lui ressemble, murmura-t-elle enfin, presque pour elle-même. Ce genre de jeu... Kael adore ça. Laisser des indices juste assez vagues pour qu'on s'y perde.

Viktor resta silencieux. Il sentait qu'il marchait sur une ligne fine, entre sa curiosité et le respect de la douleur évidente de Némésis. Il préféra se concentrer sur son dessin, bien qu'il se sentît étrangement vulnérable sous son regard.