Zaun n'était pas une ville, pas vraiment, du moins, du point de vu de Némésis et de beaucoup d'ailleurs. C'était une cage de rouille et de vapeurs, une prison, un labyrinthe où la lumière mourait dès qu'elle touchait le sol. Des cheminées cracheuses bordaient l'horizon, recouvrant le ciel d'un manteau épais, si bien qu'on finissait par oublier qu'il existait encore des étoiles au-dessus de cette crasse, un soleil au dessus de cette fumée.
Pour Némésis, Zaun avait toujours eu un goût de fer et de cendres. L'air qu'elle respirait brûlait sa gorge, chargé des toxines qui s'échappaient des usines, mais elle n'y faisait plus attention. On s'habituait à tout, même à suffoquer.
Elle se tenait sur une passerelle branlante, menaçant de s'effondrer à chacun de ses pas, le cuir noir de ses gants usé contre le métal glacé de la rambarde. Plus bas, des silhouettes se faufilaient entre les tuyaux et les conduits. Des ombres parmi les ombres, comme elle. Ici, personne n'avait de nom. Personne n'en demandait. Pourtant, au fond, tout le monde savait. Ceux qui vivaient à Zaun étaient soit des survivants, soit des proies.
Elle, elle était des deux.
Les rues de Zaun n'étaient jamais silencieuses. Le murmure constant des machines, le crissement des roues sur le métal, les bruits métalliques des chaînes et les cliquetis des engrenages créaient une mélodie désagréable, des cris, des bruits de coup, des pleurs, une chanson de misère que Némésis connaissait par cœur. La lueur vacillante des lampes à pétrole n'éclairait que des ombres mouvantes, des silhouettes fuyantes qui disparaissaient dans les ruelles sombres, comme des fantômes. Elle marchait, la tête baissée, dans l'obscurité familière. Le bruit des talons sur le sol rugueux était étouffé, tout comme la sensation de sa peau sous les gants, une protection qu'elle ne retirait jamais pour une raison bien trop triste, bien trop sombre.
Sa destination ? Le même endroit que la veille. Les Sirènes de Zaun. Un club sordide où les corps se mouvaient au rythme d'une musique lourde, où la sueur et l'alcool se mêlaient dans l'air épais. La chaleur de l'intérieur, le parfum âpre du tabac et l'éclat des néons étaient des repères dans une ville où tout se noyait dans une brume écœurante. Un monde que Némésis connaissait mieux que son propre reflet.
Mais ce soir-là, alors qu'elle longeait les rues décrépies, son regard s'échappa un instant vers le ciel, ou du moins vers l'endroit où il aurait dû être. Au loin, des étoiles blafardes semblaient se battre contre la pollution, et au-delà des toits cassés, elle aperçut des lueurs scintillantes. C'était Piltover, la ville d'en haut. La ville des promesses. Là où l'air était plus pur, où les bâtiments se dressaient dans une symétrie presque parfaite. Là où la richesse et l'ordre régnaient, et où des vies brisées comme la sienne n'étaient qu'un bruit de fond ignoré par ceux qui s'y croyaient en sécurité. La ou les gens étaient tous beaux.
Elle haussait les épaules, serrant son manteau contre elle comme pour repousser l'envie d'y penser. Piltover était une illusion. Un rêve. Un mirage lumineux dont les rares éclats qu'elle apercevait ne faisaient qu'accentuer l'obscurité de Zaun. Mais pour une fraction de seconde, quelque chose en elle se mit à rêver. Un jour, peut-être. Peut-être que là-bas, la douleur aurait moins de poids.
Un cri au loin la fit revenir brutalement à la réalité. À Zaun. Ici, il n'y avait que des ombres et des ruines. Elle serra les poings sous ses gants, se forçant à se concentrer. Ce n'était pas un rêve qu'elle poursuivait. C'était sa survie.
Laissant un long soupir lui échapper, Némésis reprit sa route en direction de ce club qui l'aidait à tenter de joindre les deux bouts, l'endroit lui servant à payer ses innombrables dettes, l'endroit ou maintenant, tout le monde connaissait son nom ou plutôt, le nom qu'elle s'était donné.
- Bonsoir Némésis. Tu danses ce soir?
L'ombre de l'homme se dessina dans l'obscurité du couloir menant aux Sirènes de Zaun, une silhouette floue se détachant à peine dans la pénombre. La voix, rauque et familière, se perdit dans l'air vicié de la pièce, mais elle n'eut aucun effet sur la jeune femme.
Sans un mot, elle continua sa marche, ses talons frappant le sol avec une précision mécanique, ses yeux d'un vert émeraude fixés droit devant, comme si l'homme n'existait pas. Ses cheveux roux se balançaient lentement, mais elle évita soigneusement tout contact, se faufilant entre les corps comme une ombre, avec la même grâce qu'une bête traquée.
Le contact physique.
Une brulure, un cauchemar, un enfer.
Elle ferma les yeux, l'espace de quelque secondes, l'espace d'un souvenir douloureux, un flash-back :
Ses mains sur son corps alors qu'elle n'était qu'une enfant.
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Les Arcanes Vagabondes
FanficElle danse au cœur des ténèbres, dans un monde où la lumière ne brille qu'en fragments. Zaun l'a forgée, rude et intrépide, mais derrière ses gants de velours se cache une peur ancienne, celle de toucher et d'être touchée. Lui, c'est Viktor. Une âme...