Âmes Étoilées Tome II

37- Reste là

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Into It - Chase Atlantic

Naëlion

Cela faisait deux ou trois jours qu'il se noyait dans la bière, mais il n'arrivait pas à se saouler. Il n'y était jamais parvenu, malgré les litres et les litres d'alcool qu'il avait pu ingurgiter au fil des années. Naëlion se regarda dans le liquide ambré, un reflet trouble et morcelé. Il était perdu.

Il savait qu'il devait se concentrer sur la guerre, qu'il avait des terres à protéger, des hommes à mener... Mais il était là, à tenter d'oublier Lorelye. Son âme étoilée.

Il se frotta les tempes, mais l'image persistait. Il revoyait ses yeux, leur éclat changeant—de la surprise, puis une forme de reconnaissance qu'il n'avait jamais vue dans son regard depuis son retour. Cette lueur-là, il l'avait attendue. Espérée. Et c'était Kairik qui la lui avait arrachée.

"Mon Ingénue."

Ce furent ces mots qui les lui volèrent. Ceux que Kairik avait prononcés quelques jours auparavant, en un murmure doucereux, ceux-là mêmes que Naëlion avait criés, hurlés, au moment où leur père avait abandonné Lorelye à l'océan. Son frère aîné l'avait entendu, ce jour-là, quand, attaché à leurs pieds, il avait promis de tous les tuer pour se venger ; son cœur s'accrochait à une dernière prière pour la princesse naonienne.

Mais Kairik ne s'était pas contenté d'entendre ce jour-là. Il avait attendu, gardant ces mots en lui pour le jour où ça lui ferait le plus de mal. Et il les lui avait pris, ces mots pleins de désespoir, pour les planter dans son dos comme une lame affûtée.

Naëlion savait.

Il savait que lui et Lorelye étaient liés depuis longtemps par un de ces liens rares et inaltérables que même le Destin n'osait briser. Il se souvenait du jour exact où tout avait commencé.

Elle avait quatorze ans.
Il en avait seize.

C'était au temple de Lucia, un sanctuaire d'ombres et de prières où il trouvait souvent refuge. Il n'aurait jamais imaginé que ce jour-là, la princesse naonienne franchirait les portes de marbre.

Ce jour-là, la lumière du temple baignait les dalles de marbre d'un éclat d'or pâle. Il faisait frais entre les hautes colonnes blanches, et l'encens qui brûlait dans les braseros projetait des volutes argentées dans l'air sacré. Naëlion se souvenait du frémissement des flammes lorsqu'elle avait franchi le seuil et du silence qui avait suivi, comme si même le vent retenait son souffle.

Elle était vêtue de blanc, immaculé et léger, une robe de fiancée, pure et épurée. Sous la dentelle fine qui masquait son visage, ses yeux brillaient d'une lumière insoutenable, un éclat qui dépassait tout ce qu'il avait connu. Il se souvenait de la manière dont ses boucles blanches caressaient sa nuque, des perles fines tressées dans ses cheveux, du galbe parfait de ses épaules qui se devinait sous l'étoffe vaporeuse.

Il avait su qu'il ne verrait jamais une aussi belle fille qu'elle.

Puis, lentement, elle souleva ce voile.

Et les couleurs s'effacèrent.

Tout devint terne à côté de la clarté de ses yeux. Deux miroirs de brume, aux reflets d'orage et de cendres, aux nuances impalpables. Un gris changeant, aussi insondable que les cieux d'hiver. Il y avait dans ces prunelles la douceur des lunes perdues et l'éclat des tempêtes à venir. Cette nuance de gris argenté qui semblait emprisonner les tempêtes et les cendres des étoiles.

Son visage, d'une harmonie douloureuse, semblait avoir été façonné par les dieux eux-mêmes, comme une sculpture vivante, une offrande à l'éphémère. Chaque courbe, chaque ombre sur sa peau portait en elle le frisson de l'inaccessible.