Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Un rai de lumière se filtre un chemin à travers le tissu pâle du rideau ornant ma fenêtre, et m'agresse les yeux. Mes paupières se fermèrent, vite, puis s'ouvrirent, encore et encore, avant que je ne puisse m'habituer à la clarté du matin. L'horloge murale me permit de savoir que ma mère ne viendrait plus me " réveiller ". Pourtant, je l'attendais, assise à même le sol, les genoux repliés vers ma poitrine, le dos calé contre mon lit, le regard fixé sur la fenêtre. Combien de temps avais-je passé là, à réfléchir, à essayer de comprendre ? Une heure ? Deux heures ? Avais-je même fermé l'œil de la nuit ? C'était difficile à dire. Je n'avais conscience de rien, comme si je me retrouvais dans un univers où les lois du temps, de la physique, et de la science avaient été défiées. Là où j'étais, il n'y avait ni secondes, ni minutes, ni heures, ni jours, ni mois... il n'y avait que moi, que le moment présent, que la peine, et le sentiment d'être perdue. Là où j'étais, je pouvais voler. Je n'allais nul part en particulier, je volais juste. Alors qu'en fait, j'étais une âme enfermée dans un corps qu'elle ne souhaitait pas posséder. Je n'avais pas d'ailes, pas d'échappatoires.
J'avais passé tout ce temps à tenter de mettre des lumières sur ce qui m'arrivait. La maison de mon enfance et de mes souffrances allait être détruite. Dommage ou tant mieux ? Toute personne normale dirait tant mieux. Moi, j'avais un avis différent. Le taudis de Maurice, c'était mon unique repère. Je n'avais que ça. Il m'avait servi de toit pendant plus d'une décennie. Quatorze ans, ça ne s'oublie pas comme ça, d'un claquement de doigt. C'était logique, et ma mélancolie était donc justifiée. Mais, ce qui m'échappait, c'était ma réaction. Aucuns pleurs, aucunes crises de panique, rien. J'étais restée coite en apprenant la nouvelle. Et jusqu'à présent, l'envie de sangloter ne se présentait toujours pas. Cela voulait-il signifier que je n'accordais plus une si grande importance à cette maison ? Cela m'étonnerait. Mais quand bien même ce serait le cas, allais-je m'en rendre compte à un moment ?
Ensuite, il y a Christopher. Ce garçon aux cheveux bruns que j'avais bousculé au lycée. Ce garçon aux cheveux bruns qui m'avait sauvée de la colère ridicule de Mike. Ce garçon aux cheveux bruns qui m'observait tout le temps. Ce garçon aux cheveux bruns qui me donne des cours. Ce garçon aux cheveux bruns qui m'avait fait affronter ma peur de la foule. Ce garçon aux cheveux bruns qui ne me trouvait pas -trop- folle. Ce garçon aux cheveux bruns en qui j'ai confiance. Ce garçon aux cheveux bruns, qui s'acharnait à être mon ami. Pourquoi faisait-il cela ? Avait-il juste pitié de moi, ou l'intriguais-je autant que cela ? Il voulait savoir, voilà tout. Il était curieux d'en apprendre plus sur ma situation. En même temps, je ne lui en voulais pas. Mais il voulait être mon ami, et pour ça, je lui en voulais. Je lui en voulais de me pousser si loin dans mes retranchements, de me faire ressentir une certaine forme de complicité envers lui, alors que j'avais tant d'autres choses à penser. Je ne croyais plus aux débilités de Maurice, mais je me méfiais tout de même du monde. Mais je savais, qu'au fond, même si je ne voulais pas me l'avouer, je considérais Christopher comme un ami. Sinon, pourquoi lui aurait-je demander de me conduire chez Maurice ? Pourquoi le laisserais-je me toucher alors que très peu de personnes le peuvent ? Pourquoi lui aurais-je montré mes cicatrices affreuses ? C'était mon ami, simplement. Et je devais cesser de vouloir nier l'évidence. Je ne devais plus me mentir à moi-même.
Bien entendu, je pensais encore à mes parents, à leur dispute de la veille, aux larmes de ma mère qui plaidait férocement ma cause, et à mon indifférence... Je me trouvai soudainement sans cœur de n'éprouver aucune compassion pour elle, mais j'avais beau m'efforcer, je lui en voulais toujours tellement... Ça passera, me suis-je dite. Ça passera. Mais mon père avait pris la porte, d'après ce que j'avais compris. Je venais de gâcher leur couple. Il avait tellement raison, en arrivant dans leur famille, je l'avais faite voler en éclats, mais ma génitrice ne voulait pas s'en rendre compte, elle refusait de l'accepter. Je soupirai. Une migraine horrible me serrait les tempes. J'avais besoin de m'évader, sinon ma tête exploserait. Donc, je me suis levée du sol et me suis dirigée vers la salle de bain. Après une douche froide, je m'habillai de vêtements, cette fois-ci, de couleurs vives. Je n'allais pas éternellement porter du noir. Dans la maison régnait un calme olympien. La salle à manger, quand j'y pénétrai, ne comprenait que mes frères, devant une table vide, ce qui me fit comprendre que ma mère ne s'en était pas remise. Tous se retournèrent lorsqu'il sentir ma présence, et leurs regards haineux me conforta sur l'opinion que je renvoyais à mes siens : ils me haïssaient tous. Après tout, n'étais-je pas la méchante sorcière ? J'essayai de faire des efforts. Il était hors de question que j'aille dans un hôpital psychiatrique avec des gens que je ne connaissais pas, même si, avec ceux-là, j'avais tout de même envie de prendre mes jambes à mon cou. Cependant, je savais que Sarah finirait par se rendre compte de l'influence négative que j'insufflait à ses enfants. Et, si elle était une bonne mère, elle réaliserait alors que son mari avait raison. Je pris mon courage à deux mains. Physiquement, j'étais plus âgée qu'eux, mais mentalement...
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Affliction.
General FictionJ'étais dans un gouffre, un gouffre sans fond, dans lequel je ne cessais de m'abîmer. Un gouffre qui m'engloutissait dans ses abysses sombres et lugubres, pour m'y retenir, à jamais. Et, j'avais beau me débattre, il continuerait toujours de m'enfonc...