Une petite fille tend la main à son père. Un homme et une femme s'enlacent. Une jeune jouvencelle aux yeux émeraudes rit à gorge déployée. Deux quinquagénaires mènent une discussion oisive sur la terrasse d'un café. Toutes ces images défilaient sous mes yeux avec une lenteur extrême, c'en devenait presque une torture. Christopher semblait ne pas s'en rendre compte, les yeux rivés sur la route cahoteuse, tandis que l'inquiétude se nichait sur son visage. Je ne lui demandais pas d'aller plus vite, même si je ne souhaitais que retrouver le confort sinistre de ma chambre aux murs horriblement roses. Je voulais me complaire dans ma solitude, encore et encore, mais, surtout, je voulais analyser toutes ces choses : la démolition de la maison de Maurice, mon microscopique aveu et...
- Tu as froid ? questionna soudainement Christopher.
Je répondis par la négative, bien que je me cramponnais à mon pull. Je sentais encore, même après une demi-heure, le toucher duveteux d'une main sur mon dos, explorant mes cicatrices. Je fermai les yeux. Je n'avais pas apprécié ce contact, même si je n'en avais pas informé Christopher. Pour tout dire, je ne savais pas trop pourquoi je lui avais montré mon dos, tout en sachant qu'il se poserait milles et une question. Cependant, peut-être que c'était un moyen implicite de lui faire part des vicissitudes de mon passé. De lui dire que je n'étais qu'une âme torturée qui errait dans un monde qui n'était pas le sien, à la recherche d'un juste milieu. Mais, que je n'y arrivais pas. Ou du moins, que c'était une tâche bel et bien ardue que d'y parvenir. Plus encore, maintenant que je savais que ma maison allait être démolie. Mon unique repère. Plus rien. Il allait disparaître, moi, avec lui, car je n'étais rien sans ce taudis insalubre. Mon histoire, ma vie, s'en irait en même temps. Mais peut-être était-ce ce qu'il me fallait ? Tout détruire, pour reconstruire. Mais les fondations resteraient les mêmes, les douleurs demeureraient perpétuelles, les actes inoubliables. Les paroles de mon ami me revinrent en tête. Aller de l'avant. C'est facile à dire, quand on est pas sans cesse attiré par les profondeurs abyssales du chagrin. Cependant, je vois une main, qui vient percer la noirceur sans nom de mon gouffre, qui m'incite à en sortir. Mais je suis trop effrayée. Quelques fois, je l'effleure, et je sens sa douceur, sa chaleur qui m'enivre, qui me rassure. Les gouffres de mon désespoir étaient néanmoins trop forts pour que je trouve le courage nécessaire de m'en sortir. Je posai ma tête sur le repose-tête de la voiture, le regard rivé sur le néant, reflet funeste de mon esprit tourmenté. Lentement, la mélodie harmonieuse d'une chanson jadis chantée s'installa dans ma tête. Il fallait que j'en retrouve les paroles, car elles étaient bien la seule trace d'une vie passée avec mes parents. Et je sentais que, avec elles, j'irais peut-être mieux. Un peu.
J'essayai de faire le point sur mes sentiments, mais la tâche n'en fut que difficile. Je ne savais pas. Tristesse ? Déception ? Joie -ce qui me semblait peu probable- ? Je l'ignorais. Pour tout dire, je n'aurais pas su mettre un nom dessus, ni même définir cette sensation. Je n'avais pas envie de pleurer, ce qui était une première pour moi, mais également très étrange. Ma maison allait être détruite, pourquoi je ne me sentais pas... Comme d'habitude ? Christopher avait-il raison ? Avais-je inconsciemment mis une croix sur cette histoire ? Je soupirai. Ce jour là, j'avais franchi une étape, certes mineure, mais une étape cas même. En fait, il n'y avait pas que ce jour là. La vérité est que j'avais fait des progrès depuis mon premier jour dans la civilisation, des progrès qui n'étaient pas forcément remarqué. J'avais appris fait confiance à Christopher, je l'avais laissé me traîner au centre commercial et avais batailler avec mon ochlophobie. Je m'étais un peu confiée à ma psychologue, et en plus, je ne la détestais plus. D'accord, je ne passais toujours pas de journée au lycée, mais au moins je... Eh bien non, je n'ai pas grand chose à dire de ce côté là. Quoiqu'il en soit, j'avais fait des progrès, mais cela aurait-il été suffisant ? J'en doutais sincèrement. Nous arrivions enfin dans ma rue. Il faut aller de l'avant.
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Affliction.
Genel KurguJ'étais dans un gouffre, un gouffre sans fond, dans lequel je ne cessais de m'abîmer. Un gouffre qui m'engloutissait dans ses abysses sombres et lugubres, pour m'y retenir, à jamais. Et, j'avais beau me débattre, il continuerait toujours de m'enfonc...