Chapitre 26

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Je regarde le lac, assise sur un rocher les pieds frôlant presque la surface lisse de l'eau. Mes yeux dérivent sur l'étendu aux milles nuances de bleu. Ce calme... Ici, tout paraît plus paisible et serein. Je m'approche encore un peu et l'eau miroite pour me montrer mon propre reflet. Mon double me sourit. Mes cheveux sont sales et emmêlés, mon visage maculé de terre, et ma robe déchirée. J'ai l'air... Normale. Je m'identifie parfaitement à ce reflet et tend mon index vers la surface aqueuse. Je pose mon doigt sur l'eau glacée qui ondule. Derrière moi, j'entend le crissement d'une chaussure sur la pierre. Je me retourne et entrevoie vaguement Kami avant qu'une force hors du commun me projette dans l'eau. Une vague de froid m'envahie. Je recrache de l'air par bulle. Je tend désespérément un bras vers la surface. Je ferme les yeux, à court d'air. Aussitôt, la panique s'empare de moi et je tente vainement de retourner à l'air libre. Je ne sais pas nager. La surface me paraît si loin tandis que je l'agite dans tous les sens, ne faisant qu'empirer les choses. Alors c'est ainsi que se finira l'histoire d'Alys? J'en ai bien peur... Lâchant ma dernière bulle d'air, je ramène mes bras contre moi, prête à accepter ma mort. J'espère juste que quelqu'un prendra la relève de la quête... Je tourne la tête et voie un visage entre les algues. Je cligne des paupière et le visage disparaît. Comme une dernière hallucination...

Je recrache de l'eau. Je suis en vie. Je suis enveloppée dans ce qui me semble une couverture bien chaude tandis que quelqu'un appui sur ma cage thoracique pour me faire recracher. Des fils viennent me chatouiller le visage. Je me décide enfin à ouvrir les yeux pour voir Espendir revenir à la charge. Le coup porté à la poitrine me refait régurgiter l'eau avalée. Ce que je prenait pour des fils sont en fait les cheveux d'un blond presque blanc du garçon. Il semble enfin s'apercevoir de mon réveil et remue les lèvres, comme pour parler. Sans ménagement, je met mon petit doigt dans l'oreille pour enlever l'eau qui la bouchait. Les sons me reviennent petit à petit. Kami arrive dans mon champs de vision et me serre dans ses bras si fort que j'ai peur pour mes côtes.
- Je.. Je...
Ma voix est étrange. Peut-être une séquelle de ma semi-noyade. Je ne sais pas. Néanmoins, Kami me lâche et me regarde avec un grand sourire.
- J'ai eu vachement peur! Tu te rend pas compte, imagine que je t'ai tué en te poussant dans l'eau? Je me serais senti vraiment mal!
- Je vais bien, articulai-je
Ma voix est toujours bizarre mais moins. Les autres n'ont pas l'air de s'en apercevoir. Tant mieux.

J'ouvre les yeux. Le feu crépite renvoyant des ondes de chaleur dans la nuit. Je me relève. J'ai rarement du mal à dormir mais avec le choc émotionnel de tout à l'heure... Mon esprit est encore chamboulé. Je quitte silencieusement notre petit cercle de dormeur sans réveiller les autres. Je me dégourdis les jambes dans l'herbe puis je vais m'assoir sur le même rocher que celui que j'occupais avant ma chute. En plusieures heures, il n'a pas changé. Mais mon impression elle, n'est plus la même. C'est bête mais maintenant je me méfie de ce gros cailloux... Je pose ma tête entre mes mains et réfléchi. Nous sommes ici pour rencontrer le peuple des tritons. Des légendes racontent que le passage vers leur monde aquatique est ici, dans ce lac. Malheureusement, je ne sais pas nager ni respirer sous l'eau. Je ne sais pas du tout comment faire. L'espace d'un instant, je me remémore le visage apparu sous l'eau. C'était un garçon. A la peau... Verte. Une étrange hallucination tout de même...

Des pas me sortent de mes pensées. J'espère que ce n'est pas Kami venu me faire une blague car je commence sérieusement à en avoir marre de ces blagues foireuses. Je me retourne. L'obscurité m'empêche de voir le nouvel arrivant mais la silhouette est bien trop grande pour être celle de la petite naine. J'interpelle le nouveau venu:
- Guhji? Espendir?
Je n'ai pas trop parlé avec Espendir mais du peu que je sais, c'est un gros crâneur. J'espère que ce n'est pas lui... Quant à Guhji, il n'est pas plus bavard qu'avant mais je l'aime bien. Sa compagnie bien que silencieuse est agréable. Étrange quand on sait que je suis à moitié vampire et lui un loup-garou...
- Non.
La voix m'est familière. Un peu trop. Un frisson me parcoure l'échine tandis que je me relève sur la défensive. Ce ne peux pas être lui. C'est impossible.
- Étienne?
Son visage m'apparaît enfin au clair de lune et je peux admirer son magnifique visage. Comme le jour de notre première rencontre, mes yeux se perdent dans les siens. Le temps me paraît infiniment plus long, presque au ralentit. Il est toujours aussi beau mais.... Je ne sais pas. La lueur de son regard n'est plus la même. Il détourne vivement le regard, mettant fin à ce contact visuel presque hypnotique et je me ressaisi. Je ne peux pas lui faire confiance.
- Que fais-tu ici?
- Je suis venu te voir, dit-il malicieusement
- Me voir? demandai-je, la gorge soudainement sèche
- Oui.
Il est proche de moi. Trop. Que va-t-il se passer? Vais-je enfin pouvoir me venger? Il me prend le menton entre les mains, tandis qu'il susurre à mon oreille:
- Je t'aime.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Tout cela semble si réel... Est-ce simplement un cauchemar? Ou plutôt un rêve? Je ne sais pas... Je ne dois pas céder. Il... Il m'a trahi. Il ne doit plus compter pour moi. Juste ma vengeance. Et rien d'autre. Je le repousse de mes deux mains. Je ne dois pas céder. Je lis de l'incompréhension dans ses yeux. Pourquoi? Il devait s'y attendre non? Après le mal qu'il m'a fait je ne pouvais quand même pas tomber dans le panneau à nouveau! Je m'apprête à le questionner quand, il me prend la main. À nouveau mon cœur s'accélère et je tente de me défaire de son emprise. Je griffe sa peau mais peine perdu. Il m'entraîne dans l'eau à sa suite sans que je ne puisse rien faire. L'eau me lèche les genoux et le froid m'engourdit les jambes. Étienne se tourne vers moi.
- Je ne comprend pas. Tu aurais dû tomber dans les bras de celui que tu aimes non? Enfin, ça n'a aucune importance.
Il scrute mon visage et reprend d'une voix menaçante ne lui appartenant pas:
- Car tu as peut-être échapper à la noyade cet après-midi mais cette fois, tu vas mourrir.
Son visage parfait se déforme et sa peau prend une étrange couleur vert pâle. Son visage s'allonge et ses yeux deviennent jaunes. Il passe une langue fourchu sur ses lèvres tandis que la main enlacé dans la mienne se transforme à son tour. Ses doigt deviennent gluant et verdâtres et ses ongles se changent en de longues griffes qui s'enfonce dans la chair de mon poignet comme dans du beurre. J'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Je suis muette d'horreur. Ce n'est pas Étienne, c'est... Un monstre! Je me débat mais la créature m'entraîne dans l'eau. J'ai de l'eau jusqu'à la taille quand je comprend enfin que la créature devant moi est celle que j'ai vu dans le lac. Je lance un cri de détresse mais au lieu d'émettre le moindre son, l'eau pénètre dans ma gorge et j'en avale une grande quantité. Je vais mourrir.

Je me laisse sombrer dans l'eau sans aucune résistance. Mon sort est déjà scellé. Bientôt, l'eau devient si noire que je peine à distinguer quoi que se soit entre les grandes algues vertes. Je tente de résister à la pression de l'eau sur mes paupières mais rien n'y fait, je ferme les yeux contre mon grès. Le froid transit mon corps.

Soudain, comme un rêve éveillé, le froid disparaît tout comme la pression de l'eau. C'est pourtant impossible. Personne n'a pu venir me sauver dans ces profondeurs. J'hésite quelques secondes avant d'ouvrir mes yeux de nouveau libre. Je flotte dans une immense bulle d'air. Le garçon qui m'a conduit ici me regarde avec une certaine curiosité. J'éternue. On dirait que j'ai attrapé un rhume.
- Salut! lance joyeusement le garçon
- Euh...
Mes yeux sont soudainement attirés par un détail que je n'avais pas remarqué au premier abord. Il n'a pas de jambes. A la place, une longue et interminable queue de poisson remue frénétiquement l'eau. J'admire le reflet des écailles vertes à chaque ondulation jusqu'à me lasser d'un tel spectacle.
- Je suis pas morte? demandai-je
- Ben non! C'était une blague!! En fait, il y a longtemps nos ancêtres les sirènes se transformaient pour attirer leur victimes dans un piège et les tuer, mais nous, les tritons, on est gentil! Et on adore les blagues!
Je ne sais pas si je dois rire ou me mettre en colère de la situation... J'ai eu une de ces peurs! C'est blague ne sont vraiment, mais alors vraiment pas drôle.
- Qu'est-ce que je fais la?
- Ben, quand on fait des blagues, on doit montrer les touristes devant la garde royale car si tu étais sur le lac, c'était bien pour nous voir non?
- Oui! J'ai besoin de votre aide.
- Ouais ouais... Mais sinon, il y a quelque chose que je ne comprend pas.... Je me suis transformé en celui que tu aimes alors pourquoi l'as tu repoussé? D'habitude, les gens ne font pas ce genre de chose... Les hommes sont vraiment des créatures étranges...
Un autre triton entre dans la pièce. Sauvée... Je me vois mal lui expliqué mon histoire. De quoi il se mêle? Je regarde le nouveau venu. Sa peau est jaune tacheté de marrons tout comme sa queue. Il est encore plus laid que le premier. Il prend la parole:
- Suivez moi.
Et il ressort. Je regarde le triton avec qui je parlais et il me sourit. Il passe dans mon dos et pousse ma bulle d'air à la suite du gros triton. Il commence alors une discussion qui se transforme rapidement en un long monologue. J'espère que ce n'est pas lui qui m'accompagneras, il est trop bavard à mon goût et ses blagues sont vraiment... Nulle.

Je suis face à la cour royale. Je ne vois le roi nul part, il n'y a que des gardes arborant un emblème bleu turquoise transpercé d'une fourche à trois dents dorée. Un trident je crois. L'hybride m'ayant amené ici s'en va et un garde vient m'accoster.
- Bonjour, tu es la fille qui s'est fait avoir par la blague de Surfu?
- Euh... Oui.
- Bien, que veux tu?
- Alors en fait ..., commençai-je
- En fait non, me coupe-t-il, je m'en fiche. Écrit ce que tu veux sur ce papier, nous le signerons. Et après, tu pars.
Je ne répond rien. Il me tend une feuille et un stylo. J'écris un paragraphe les informant de ma quête et des causes dans lesquelles ils s'engagent en signant ce papier. Car même si un triton ne peux pas m'accompagner hors de l'eau, ce papier signifiera qu'ils s'engagent à m'aider à reformer le conseil pour empêcher la guerre. Je donne le papier au premier venu, il signe et me le rend. Fastoche. Je retourne voir le dénommé Surfu qui me reconduit à la surface en parlant.

Je ressors de l'eau même pas mouillé et rejoins le campement, le précieux parchemin à la main. Je rejoins le feu mais m'aperçois rapidement qu'il n'y a personne. J'appelle un à un mes compagnons qui finissent par arriver en courant.
- Nous t'avons chercher par tout! Ou étais tu? s'exclame Espendir
- Je... J'ai réussi à rencontrer les tritons et j'ai ce qu'il nous faut, dis-je en brandissant le parchemin. Je vous raconterez tout en cours de route, promis!
Ils ne me posent pas plus de questions mais leur excitation est palpable. Ensemble, nous replions nos affaires et reprenons la route. Le lac est le centre du monde est donc, il rejoint tous les territoires. C'est assez pratique car cela nous évite de beaucoup marcher. Je suis heureuse d'avoir accompli une autre étape de cette quête qui me paraît sans fin, et aussi parce que notre prochaine destination est mon territoire natale.

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