Je dois avouer que j'ai réussi à dormir quelques heures cette nuit. L'angoisse pourtant est toujours là, plantée comme une graine de mauvaise herbe dans mon esprit.
J'ouvre les yeux, tout s'emmêle autour de moi. J'entends vaguement les voix de Chris, de mon père et d'Hayden au rez-de-chaussée. Paresseusement et sans réelle volonté d'être debout, je me lève et descends mollement dans la cuisine. J'écarquille les yeux, puis les frotte à plusieurs reprises. Je suis en retard, ils sont tous habillés, coiffés, fin prêts à partir, et moi je suis dans mon One Piece licorne, les cheveux en pétard et l'air mal réveillé.
Hayden, en gentille sœur dévouée –quelle ironie-, me tend une robe et une paire d'escarpins. Bien, je dois moi aussi m'habiller en croque-mort ? Super, Halloween est en avance cette année ! Non sans cacher mon dédain pour cette coutume de revêtir la couleur associée au deuil, j'attrape sans conviction les vêtements qu'on m'a attribués.
Je prends une douche rapide en évitant de m'endormir sous la pression de l'eau chaude, réellement soporifique. Je me sèche, enfile mes sous-vêtements (noirs), mes collants semi-opaque style rétro (noirs). Je passe délicatement la robe. Elle est plutôt belle, tombant mi-cuisses, une coupe trapèze, des manches qui m'arrivent aux coudes. Elle est évidemment noire, mais un petit col blanc perlé casse la tristesse de l'habit. Manny n'aimait pas vraiment le noir, elle n'en portait qu'aux pieds ou en collants.
La règle n'est-elle pas de s'attacher les cheveux ? Bien, je les détacherai donc. Charlie entre dans la salle de bain, vêtue d'une petite robe en dentelle (noire). Elle s'empare d'une brosse et démêle ma crinière revêche. Pendant ce temps, je repasse mes longs cils d'une couche de mascara, m'accorde un trait d'eye-liner plus épais que d'habitude. A contrecœur, j'enfile les escarpins qui doivent avoir un talon de 10 cm, ce dont je n'ai pas l'habitude. Je m'observe du coin de l'œil dans le miroir. Charlie m'a tressée deux mèches de cheveux qu'elle a reliées à l'arrière de mon crâne. La couleur gaie de ma chevelure contraste nettement avec ma robe. Je pourrais presque me trouver jolie... Non. Pas aujourd'hui.
Après être descendue timidement et prudemment, je suis dans la cuisine, prête à partir. Je détaille rapidement les personnes présentes dans la pièce. Mon père est très élégant dans son costume noir, mais Chris l'est encore plus avec son nœud papillon fleurie. Il a vraiment tout compris. Manelle aurait adoré. Ma sœur est comme à son habitude, parfaite, rayonnante, radieuse. L'air triste dosé comme il faut, lui donnant un côté adorable et sensible qui est totalement contrefait, Hayden n'éprouvait aucune réelle sympathie pour ma meilleure amie. Je pense qu'elle la méprisait par pure et simple jalousie.
Nous avons roulé une bonne vingtaine de minutes. Ce voyage m'a totalement donné la nausée. Je n'avais absolument aucune envie de voir un amas d'hypocrites qui viennent à enterrement pour faire bonne figure auprès de la famille du défunt. Ce genre de comportement m'écœure complètement.
Arrivée, je rejoins mes amis. Ils ont tous fait ce qu'il fallait. Zoey a mis des chaussures pastel fleuries, Charlotte une ceinture avec des papillons multicolores. La cravate de Jonas est délicatement colorée, comme le maquillage assorti de Stella. J'en ai les larmes aux yeux. Sans nous concerter, nous avons tous pensé à mettre de la couleur, comme l'aurait voulu Manelle. A la suite d'un gros câlin collectif, je vais embrasser ses parents, leur montrant ainsi mon soutien. J'évite de très près Eliott, le frère, avec qui je n'ai pas l'intention de m'éterniser.
La cérémonie commence peu après. Je n'ai jamais éprouvé une telle douleur, même quand on m'a retiré mes dents de sagesse ou quand je me suis plantée en skate et que je me suis fracturée deux côtes. Le plus dur, c'est de voir tous ces gens, autour du cercueil. Certains n'ont rien à faire ici, ils n'ont pas leur place près du corps de mon amie. J'ai refusé d'aller la voir au funérarium. L'idée que la dernière image de Manelle soit un corps froid et dur m'est totalement insupportable.
Le prêtre, ou curé, ou peu importe qui il est, termine son discours. C'était beau. C'était trop conventionnel. Je m'avance alors, une rose multicolore en plastique dans la main. Je la serre tellement que les épines factices me rentrent dans la peau. D'une petite voix, je récite le texte que j'avais mentalement préparé. Tous les regards sont posés sur moi. Tout est là : la maladresse, le doute, l'émotion, l'amour, la tristesse. Sans m'en rendre compte, un sourire s'est dessiné sur mes joues mouillées de larmes salées à l'évocation de certains souvenirs, ou du simple nom de mon double. Après avoir fini et dit tout ce que j'avais à dire, je me recule, puis jetant un regard vers mes amis, nous entamons d'une seule voix la chanson préférée de Manelle. Je sens la petite main de Charline dans la mienne, la brise douce qui agite mes larmes et fait voler mes cheveux, les épines en plastiques qui m'esquintent la paume. Maxine n'est plus à cet instant précis. Une partie de moi s'envole si haut que je pense qu'elle a touché les étoiles et s'est perdue dans le ciel avec Manelle.
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Love is a fool girl
General FictionMax ? On vous dira que c'est une super copine, ou au contraire une grosse sauvage. C'est une artiste ou une écervelée, au choix. On peut adorer comme détester la couleur rose arborée dans ses cheveux. Max avant tout, elle a soif de liberté, elle a...