Le retour

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Il me raccompagne gentiment à la porte, nous restons silencieux. Il m'embrasse, d'un baiser rapide. N'étant pas satisfaite, je me penche, lui en volant un deuxième. Je m'agrippe à lui, je n'ai pas envie de partir. Il le sent et fait un effort. Notre baiser s'intensifie, nos langues s'entremêlent, il me tient par la taille, je me sens comme sur un nuage, le décor s'estompe, comme pour nous laisser plus d'intimité. Je sens la pression de ses doigts sous mon pull, j'espère qu'il ne va pas me laisser partir, qu'il va me porter jusqu'au lit, que nous allons le refaire, encore et encore. Mais ses mains s'extirpent de sous mon pull et vont se balader dans mes cheveux. Il se détache de moi, me regarde dans les yeux et me souffle un "à bientôt". Il me raccompagne jusqu'à la porte de l'immeuble, je me demande comment il justifie ma présence si fréquente à ses voisins. A moins que je ne sois pas la seule fille qu'il ramène chez lui en dehors d'Emily. Je sors du bâtiment, les feuilles d'automne tourbillonnent autour de moi, le vent me griffe de ses ongles acérés, j'ai froid. Mon écharpe bien enroulée autour de mon cou, je lève les yeux vers la fenêtre de l'appartement que je viens de quitter. Je vois une ombre se déplacer, je sais qu'il me regardait. Cette pensée me fait sourire. Grégoire le bad boy, Grégoire, l'adulte n'ayant besoin de personne, Grégoire, mon plan Q. Grégoire, celui qui n'a pas réussi à résister à la tentation de me voir une dernière fois. La chaussée est presque déserte, je n'avais pas réalisé qu'il faisait si froid et qu'il n'était que 8 heures du matin. C'est le seul désavantage de passer sa nuit à faire l'amour: on perd la notion du temps. Je me pose à l'arrêt de bus habituel, soufflant dans mes mains pour me réchauffer. Des enfants sont assis dans l'abri, ils ont l'air aussi frigorifié que moi. Je les observe d'un regard discret, atteinte par une curiosité aigue, les voyant s'amuser avec un objet non identifié. Je suis myope, je n'y peux rien. Je m'approche d'un air innocent, et guigne du coin de l'oeil ce qui avait suscité mon intérêt. Une capote. Ces deux gamins jouent avec une capote. Je me sens un peu honteuse, je ne sais pourquoi. Heureusement, le bus arrive, je monte, je m'installe dans un coin, je ne bouge plus, j'attends qu'il démarre, pourquoi il ne démarre toujours pas, pourquoi le chauffeur est-il descendu du bus, oh non ses lèvres forment le mot problème, je ne veux pas d'un problème, je souhaite juste rentrer chez moi.


Une demi-heure plus tard, le bus de remplacement arrive. Je ne suis plus qu'une congère, frigorifiée de la tête au pied. Le vent a depuis longtemps réussi à se faufiler au travers de ma mince veste et mes lèvres bleues indiquent au chauffeur que le chauffage à la puissance maximale sera nécessaire pour que je puisse articuler un mot, quel qu'il soit.

- Chuis vraiment désolée, j'avais jamais vu ça, une panne pareille, moi j'ai toujours dit au patron qu'il fallait remplacer ces vieux bus, mais bon, vous savez, les patrons, ça n'écoute pas les chauffeurs, parce que selon eux, si les patrons se mettaient à écouter les chauffeurs, la boîte pourrait fermer, mais je suis pas de cet avis, moi je pense que le syndicat a encore du travail à faire, et que...

- I'm sorry I don't speak French. dis-je, espérant un moment de tranquilité.

- Ah. se contenta-t-il de formuler.

Puis, après un moment:

- Mais vous savez, Aïe SPIK Engliche veri ouel tou, ènde...

Je ne lui laissai pas le temps de finir. Je me levai de mon siège se situant au premier rang et allai m'asseoir tout au fond du bus, après avoir mis mes écouteurs. La musique m'envahit. Certes, elle était mélancolique, mais elle me berçait, elle et moi ne faisions qu'un, elle m'emportait. "Fuel to fire" est depuis longtemps la chanson que je pourrais écouter en boucle. Je trouve les harmonies magnifiques, j'ai la chair de poule à chaque écoute. La chanson se termine, ma playlist enchaîne avec du Justin Timberlake. Hum. Je ne suis pas dans l'humeur. J'en écoute seulement au lit. Pas pour dormir, non. Pour coucher. Je presse sur le bouton, voyant mon arrêt se rapprocher. Je sors dans le froid, et réalise que la raison pour laquelle le chauffeur me regarde avec de gros yeux est le fait que je lui aie dit "Au revoir bonne journée." Ah oui. J'étais supposée être anglaise. Parfait. Je lui fais un sourire forcé, c'est le seul truc que j'aie réussi à faire pour atténuer cette ambiance spéciale et particulièrement inconfortable. Heureusement, le bus démarre, emportant avec lui les faits légèrement déjantés venant d'arriver. Je marche jusqu'à la gare. Mon train n'est pas là, à cause de la panne, j'ai fini par louper la correspondance. Il est 9 heures. Le prochain n'arrive qu'un quart d'heure plus tard, j'ai donc le temps d'ouvrir mon livre et de commencer un nouveau chapitre. Le rouge et le noir. Comment un homme ne peut-il pas désirer cette femme? Le fait qu'il soit le seul à ne pas la désirer me prouve quel imbécile il est. Ne voit-il pas que le problème est chez lui, que la demoiselle est magnifique, que tous les autres hommes sont à ses pieds? Je suis absorbée par ma lecture, et ne réalise que mon train est en face de moi que quand les portes s'ouvrent dans un fracas. Je monte et vais m'asseoir du côté de la fenêtre, pour pouvoir observer le lac. Le train se met en marche, les infrastructures en béton s'éloignent, le bout du lac m'apparaît, caché derrière de la verdure. Je suis comme hypnotisée par les reflets de celui-ci. Quand j'étais enfant, ma mère me disait que les petites étoiles que je voyais danser sur le lac étaient en vérité des fées, venues danser et célébrer mon retour. Et moi, j'y croyais. Je regardais ces petites taches de lumière se trémousser sur les vagues et je les saluais d'un air réjoui.

Je me réveille. La contrôlleuse m'a réveillée. Elle a l'air de bonne humeur. Mes pensées encore toutes vaseuses, je farfouille dans mon sac à main, en tire mon abonnement, que je lui tends. Elle vérifie d'un regard expert que ce soit bien moi sur la photographie et me rend ma carte, me souhaitant une bonne journée. J'arrive à esquisser un sourire et à grommeler quelques formules de politesse.

Le train arrive à destination. Je me traîne hors du train, je suis crevée, morte, courbaturée. Je reçois un texto. Je souhaite rentrer chez moi avant de le consulter. La ville a commencé à se réveiller, les gens s'activent, les volets s'ouvrent. J'entre chez moi à pas de loup, ne souhaitant en aucun cas réveiller ma mère. Ma famille a pour habitude de faire la grasse mat' tous les jours si elle le peut. Ma soeur aînée dort encore, ainsi que ma mère. Mon père, me demanderez-vous? Il n'habite plus ici depuis bien longtemps. Je monte les escaliers de notre maison, ferme délicatement ma porte de chambre, verrouille celle-ci et m'écroule sur mon lit. Je ne sais pas comment je trouve la force de sortir mon téléphone de ma poche arrière. Un message attire mon attention. Parmi les conseils échangés sur les groupes, les rendez-vous plannifiés et les rappels, un message m'attend. Celui de mon Amour. Celui de Bence.


Le jour où j'ai réaliséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant