15.

333 25 4
                                    

15.

« L'enfer est le malheur sans espérance ».

Henri-Frédéric Amiel.

Je me rappelle avoir lu cette citation, comme si aujourd'hui plus encore qu'hier, elle prenait tout son sens...

Alors que les bureaux sont une immense fourmilière, alors que nous courons tous partout depuis l'aube pour rattraper les morceaux arrachés à notre âme, j'ai parfois quelques secondes, à part, où je regarde le spectacle devant moi, essayant d'y trouver un sens.

Le malheur.

Sans espérance...

Car derrière toutes ces bonnes volontés, tous ces élans, ces tentatives de vider le canot qui prend l'eau à l'aide de petites cuillères, lorsque je croise les regards de mes collaborateurs, je n'y vois que de la résignation...

Faire bonne figure, jusqu'au bout... Sauver les apparences, alors qu'il n'y a plus rien à sauver...

Je reste au milieu du couloir, figée, les bras submergés de dossiers, comme un zombi.

Parfois, on me bouscule, on me donne d'autres dossiers, on tente de me sortir de ma torpeur.

Mais tout ça n'a plus de sens.

-Marc..., murmurais-je.

-Oui, Tessa ?, dit-il à bout de souffle en se précipitant vers moi.

-Réunis tout le monde en salle de conférence. Il est temps...

-On est un peu en plein jus, là, tu vois, ce n'est pas vraiment le moment.

-S'il te plait, dis-je presque calmement, résignée.

Il me fixe un instant, prenant le poids de ce que je m'apprête à faire.

-Ok...

Je retourne dans mon bureau, laissant la lumière éteinte alors que je n'ai pas eu le temps d'y mettre un pied de la journée. Et je m'assois, seule.

Je reste dans le noir, jusqu'à ce que plus aucun bruit venant de l'autre côté de la porte ne me parvienne.

Je sais exactement ce que je vais leur dire... J'avais préparé ce discours quasiment à l'instant même où j'avais embauché notre premier employé.

Mais j'avais espéré ne jamais avoir à le prononcer...

Je me repasse chaque mot avec gravité, fixant le vide devant moi, m'extasiant toujours que quelques mots sur un journal puissent rendre à ce point frileux tout ceux qui nous ont supportés alors que nous étions au firmament.

Du business... Seulement du business...

Ce sont ces mots que je me répète, avançant dans les couloirs vides, découvrant au travers des vitres notre salle de conférence pleine à craquer.

Aujourd'hui, personne n'a déserté. Personne n'avait trop de travail pour ne pas assister à cette réunion... Ils sont tous là, parfois debout par manque de place, attendant la suite qu'ils connaissent déjà.

Mais l'ignorance nourrit l'espoir. Et je leur laisse encore quelques minutes...

Posant une main sur la porte vitrée, je sens alors tous les regards se braquer sur moi dans un silence lugubre.

Mes pas résonnent presque sur la moquette, avançant entre tous, aussi lentement que je le peux, comme pour me convaincre qu'il n'est pas trop tard...

GRAIN DE SELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant