Chapitre 12

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-Deux boîtes de vitamines s'il vous plaît.

Je suis à la pharmacie, avec cette connasse de pharmacienne qui ne comprend pas ma langue. J'ai essayé en chinois, mais elle ne comprenait toujours pas. Je vois les vitamines en rayon, juste derrière elle. Bon, j'en ai ras-le-bol de patienter, je saute par-dessus le comptoir, et les prends. Je lui colle dans les mains.

-Vous ne voulez pas que je les encaisse aussi ?

Elle me lance un regard noir et tape le prix sur sa machine. Bah voila. Elle met le tout dans un paquet et me le tend.

-Cinquante dollars.

Je suis en train de m'étouffer avec mon chewing-gum. Merde il est coincé dans ma trachée. Je tousse un grand coup et le souffle dans la poubelle juste à coté. Je sors un billet de cinquante et lui tend. Même si elle ne le mérite pas.

Je me promène dans un petit magasin de bouffe bio. Tout à l'air dégoutant. Mais bon, tous les autres magasins sont fermés. Je m'approche des fruits et légumes, et prends un peu de tout, bananes, pêches, radis, tomates, pommes de terre, carottes, kiwis, citrons, pommes, courgettes et concombres.

Ça ira pour aujourd'hui. Je me dirige vers la caisse pour payer, et attrape deux pots de pâte à tartiner bio. C'est peut-être bon. Même si je suis presque sûr du contraire.

Je pense que j'ai tout ce qu'il me faut pour Rachel. Je vais m'inviter chez elle. En plus c'est bientôt l'heure du diner, comme ça c'est moi qui le préparerait. Avec cette bouffe bio dégoutante.

Elle va se régaler. Vu comment elle est maigre, je suis quasiment sûr qu'elle ne mange même pas les trois repas de la journée. Comment fait-elle ? Faut que ça change. Je monte dans ma voiture et prends la direction de chez elle. Dans vingt minutes j'y suis.

Je frappe à la porte, personne n'ouvre. Je refrappe. Toujours personne. Je sais que ce n'est pas bien ce que je vais faire, mais tant pis. J'ai besoin de la voir. Ai-je vraiment pensé ça ? Non. Il faut juste que je la sorte de cette merde. Et merde. Je ne suis même pas sûr moi-même. Même plus sûr de ce que je ressens.

J'ouvre la porte délicatement. J'hôte mes chaussures, et m'avance prudemment vers la cuisine, et je dépose tous les trucs que j'ai acheté. Personne. La dame de l'autre fois n'est pas là. Cool. J'ai l'impression d'entendre une musique douce et délicate. Je n'avais jamais mentionné ces deux adjectifs pour une musique auparavant, seulement pour les fesses d'une fille. Smith, tu changes. Cette fille me change. Je m'approche du bruit, c'est du piano. Il vient du sous-sol. J'emprunte les escaliers qui sont juste devant la porte d'entrée. Je les descends doucement et sans bruit.

Ce son est magnifique. Un morceau de Ludovico Einaudi. Je me penche un peu, et découvre une Rachel, les yeux clos, en train de caresser les touches du piano. A une allure tellement rapide, que moi-même je me demande si c'est possible. C'est vraiment sublime. Des petites gouttes de sueur coulent sur son front. Elle est sexy. Putain de sexy. Son doigt appuie sur la dernière touche. Le morceau est fini. Je grogne. Mince, j'ai peut-être grogné trop fort. Elle se retourne rapidement, et ferme le couvercle. Je m'avance vers elle.

-C'était magnifique.

J'ai à peine le temps de finir de parler qu'elle se jette dans mes bras. C'est la première fois qu'elle fait ça. Il doit se passer quelque chose de louche. Elle commence à sangloter. Alors, c'est comme ça que ça va se passer, à chaque fois que je viendrais la voir, elle se mettra à pleurer ?

-Qu'est ce qu'il se passe, ça ne va pas ?

J'attends une réponse. Jusqu'à que je me rappelle qu'elle est muette. Le crétin. Je prends sa tête dans mes mains, et lui embrasse le front. Elle me fait un petit sourire forcé. C'est déjà ça. Même si j'aurais préféré un vrai beau sourire. Il y a des sourires qui ne savent qu'avouer la tristesse du cœur. Elle essuie ses larmes et m'entraîne en haut. Je ne la comprendrais jamais. Arrivés dans la cuisine, elle regarde tous les sacs. Elle m'interroge du regard.

-Il faut que tu manges beaucoup de fruits et légumes, c'est pourquoi, j'ai été faire les courses pour toi. Et je vais te faire à manger.

Elle sort tout ce qu'il y a dans mes sacs, et les rangent à leurs places. Elle sort deux tabliers, et deux toques de cuisinier. Elle ne fait pas les choses à moitié.

-J'ai étudié quelques livres de cuisine équilibrée et saine, et j'ai trouvé une recette bien ! Donc on aura besoin de deux tomates, une carotte qu'il faut râper, deux pommes de terre qu'il faudra cuire, une boîte de lardon, de la salade, deux œufs cuits, deux oignons, et de la sauce salade.

Au fur et à mesure que je cite les ingrédients, elle sort tout, et les disposent sur le plan de travail. J'enfile mon tablier et ma toque. Elle fait pareil. Je râpe les carottes, et cuit les pommes de terre et les oignons. Elle pèle les tomates, et cuit les œufs et les lardons.

-Quand on épluche des oignons, il faut en même temps penser à quelqu'un qu'on aime bien et qui est mort, sans quoi ce sont des larmes perdues.

Elle me regarde, les yeux dans le vide. Oups. Je crois que je viens de faire une gaffe. Quel con.

-Enfin, tu peux aussi pleurer pour moi qui va se faire défoncer pour le devoir à rendre lundi que je n'ai toujours pas fait.

Je me rattrape comme je peux. Elle secoue la tête et me tire la langue. Ça va, elle ne sait pas mise à pleurer. Je ne sais pas comment agir avec elle. C'est tellement compliqué, elle est tellement compliquée. Au fond, je ne la connais pas. Il faut que je change ça. Je lui donne tout ce que j'ai préparé et elle les mélange dans un saladier en ajoutant de la sauce salade par-dessus.

-Où sont les assiettes Rach' ? Je peux t'appeler Rach' au moins. C'est moins compliqué pour moi tu comprends...

Elle hoche la tête, sans me sourire. Et me montre le placard au dessus de ma tête, et le tiroir à ma gauche. Je me retourne et sors deux assiettes, puis je prends des couverts. Je place tout sur la table, et mets de la salade dans son assiette ainsi que dans la mienne. Une fois le repas terminé, elle me fait signe d'aller m'asseoir dans le canapé, devant la large cheminée, qui prend toute une partie du mur de sa maison.

Un carnet est posé sur la table, un carnet avec une couverture noir, toute banale. Rachel s'en empare et le range rapidement dans le tiroir de la table basse. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai vraiment envie de l'ouvrir ce carnet. Elle s'assoit à coté de moi et allume la télé.

Je repense au carnet, qu'est ce qu'il peut cacher ?

Elle s'allonge et pose sa tête sur mes genoux. Je crois bien qu'elle est lunatique, oui ça doit être ça. Je la laisse s'installer et pose ma main dans ses cheveux. Je la sens tendue. Ses poings se serrent. Ses yeux se ferment. Je crois qu'elle n'aime pas trop le contact. Mais je m'en fous, je ne bouge pas mes mains pour autant. J'enroule une mèche brune de ses cheveux entre mon pouce et mon index, elle se détend légèrement.

-Depuis combien de temps n'as-tu pas eu de contact avec un humain ?

J'ai vraiment des questions bizarres des fois. Elle me regarde quelques secondes, je crois qu'elle réfléchit. Elle me montre six de ses doigts.

-Six mois ?

Elle secoue la tête.

-Six...six ans ?

Elle secoue encore la tête.

-Depuis tes six ans ?

Elle hoche la tête. Putain. Environ quatorze ans qu'elle n'a pas eu de contact avec un humain.

-Un jour, tu me diras ce qu'il s'est passé ?

Je peux réussir, à la sortir de là. Je dois. 


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