Chapitre 15

22 2 0
                                    

Le jogging a duré une heure. Je pense que tous les dimanches nous prendrons une heure pour en faire un. C'est vraiment important pour Rachel. Je veux vraiment qu'elle s'en sorte, et par tous les moyens possibles. Je lui ai donné également tous les paquets de vitamine que j'ai acheté.

Il faut que je lui donne des pensées positives. J'ai donc décidé de l'emmener dans un parc d'attraction. Je conduis jusqu'à la sortie de la ville. Je sais qu'il y a des attractions en l'honneur de la fête municipale. Je sens Rachel toute excitée à l'idée de ne pas savoir où je l'emmène.

-Ferme tes yeux, ok ? Ouvre-les seulement quand je te le dirais.

Elle me regarde et hoche la tête. Je la vois qui ferme ses yeux. Elle est tellement jolie. Je pourrais la regarder pendant des heures. Je me gare sur le parking et coupe le moteur.

-Attends, je vais t'ouvrir.

Je sors de la voiture et cours pour faire le tour et lui ouvrir la porte. J'entrelace ses doigts avec les miens, et la tire pour qu'elle sorte. Je claque la portière et la conduis vers la fête foraine. J'esquive un petit poteau de justesse. J'aurais ri si elle se l'était pris. Il ne vaut mieux pas que je l'amoche plus qu'elle ne l'est déjà. J'arrive juste devant l'entrée.

-Tu peux ouvrir les yeux, bébé.

Elle ouvre les yeux doucement. Vu l'étincelle qu'il y a dans ses yeux, elle à l'air vraiment excité. Heureuse. Elle se retourne vers moi et me saute dans les bras. Waouh. Je ne pensais pas que ça lui ferait cet effet là. Je la serre un peu plus, et tourne sur moi-même. Elle redescend et m'embrasse la joue. Elle attrape ma main, entrelace nos doigts et me tire vers la galerie des miroirs. Je sens que cette journée va être épuisante.

Posés à la terrasse d'un café, nous buvons tous les deux un grand chocolat chaud/chantilly. Cette journée a vraiment été épuisante, mais super. Je n'avais jamais vu le visage de Rachel avec ce regard. Cette petite étincelle. Je crois que juste à ce moment là, elle était apaisée. Sereine. Ce qu'il fallait que je réussisse à faire. J'ai réussi. Je lui attrape une main, et je fais de doux baisers dessus. Je remets une de ses mèches de cheveux derrière son oreille.

-Rachel, racontes moi ton passé.

Je ne veux pas gâcher cette journée, je veux juste savoir. L'étincelle dans ses yeux diminue, mais reste toujours là. Je crois que je la prends de court. Elle relève la tête vers moi, et avale sa salive. Elle hoche la tête. Bordel, je ne pensais pas qu'elle allait le faire. Mais ça pourrait vraiment lui enlever un poids. Elle prit ma main dans la sienne et me tire dehors.

Elle se mit à courir, de plus en plus vite. Pourquoi court-elle ? On s'arrête sur un pont. Il fait beau aujourd'hui. Même s'il fait froid. Elle s'assoit sur le banc et me fait signe de venir. Elle souffle. Elle ferme les yeux. Puis elle ouvre son sac. Elle en sort un carnet bleu et argent, puis son éternel calepin. Elle griffonne quelques mots dessus, puis me tends le carnet et le calepin. J'attrape le calepin.

« Je...je ne sais pas comment, mais tu détiens toute ma confiance. Personne ne connait mon secret. Même pas ma gouvernante. Personne. Mais toi, je ne sais pas. J'ai envie de te le confier. J'ai jamais autant fait confiance à quelqu'un tu sais ? Même en si peu de temps. J'ai toujours ce carnet sur moi ; c'est mon journal intime.»

Elle ferme les yeux. J'ouvre la première page. Une photo me percute. Elle et sa famille. Où sont-ils passés ? Je tourne la première page.

« Vous...comment ça a pu arriver ? Comment ? Je ne comprends pas. Je suis déprimée. Je mange plus. J'ai perdu cinq kilos en deux semaines. Bordel. J'en peux plus. Pourquoi je ne vous ai pas suivi ? J'vous jure, des fois, j'ai envie d'en finir. Vous savez, je me suis renfermée sur moi-même. Je suis devenue malade. Complètement malade et impulsive. Je n'ai plus de repère. Je ne m'en sors plus. Je suis seule. Toujours seule. Bordel, mais pourquoi ? Pourquoi je ne suis pas parti avec vous ? Vous savez, quand je les ai vu tomber, j'étais là. J'ai tout vu. Vraiment tout. Vous me manquez, qu'est ce que vous me manquez. J'étais tellement choquée. Les autres se sont foutus sans arrêt de moi. J'ai craqué. Depuis ce jour, je ne parle plus. Je n'y arrive plus. Je suis complètement perdu. »

Je tourne une autre page.

« Je craque, j'peux plus tenir. Ce monde est pourri. Les gens sont pourris. Pour la fête des mères, j'ai fais une carte pour maman. Je suis rentrée à la maison, avec l'idée que je vous trouverais dans le canapé, en m'attendant, avec un chocolat chaud et un sourire scotché sur le visage. Mais quand je suis rentrée, je n'ai trouvé que ma tutrice. J'ai pleuré tout la soirée. J'ai cassé tout ce qui se cassait dans ma chambre. Ormis la petite boîte que papa m'a offerte. Il m'a dit que je pourrais l'ouvrir seulement pour mes vingt ans. J'attends ce jour avec impatiente. Je ne briserais pas cette promesse. Je vous aime, revenez. »

Je tourne et retourne les pages, je lis la vie d'une petite fille brisée. Qui se faisait harceler par ses camarades, une petite fille qui a perdu ses parents je ne sais pas encore comment. Je découvre toutes les horreurs qu'elle a subit. Toutes les critiques qu'elle s'est prisent en pleine gueule. Je lis qu'elle a tenté de se suicider, mais que sa tutrice l'en a empêché. Les gens sont horribles. Je lis le journal de Rachel. Elle me fait confiance.

« Je n'ai pas envie d'être sociable, je n'ai pas non plus envie d'être aimable. Tu m'trouves insupportable ? Tant mieux, ça te fera peut être ouvrir les yeux. Regarde bien, tu crois que les gens pensent à toi ? Tu crois que ça leur ferait quelque chose de savoir si je suis une bonne personne. Non pas du tout. Qu'est ce qu'ils en ont à foutre de la petite suicidaire du coin qui s'enfile une bouteille de vodka tous les soirs, pour oublier, pour supporter le malheur qui l'accable encore plus de jour en jour. Pourquoi ils ont tous peur de la mort, alors qu'ils sont tous là à dire que le ciel est beau. Pourquoi ils ont peur de vivre, alors qu'ils leur suffiraient de moins penser à demain, mais plus à aujourd'hui. Imagine, s'ils crèvent demain, tu crois qu'ils l'auraient prévu dans leur agenda ? »

Ses mots me percutent. Sa façon de penser également. Elle me percute. Une date me percute. Que je ne connais que trop bien. 11 septembre 2001. Bordel. Que c'est-il passé ce jour là ? J'arrive à la dernière page de son journal. Une petite enveloppe glisse sur mes genoux. Je tourne ma tête vers elle. Elle n'a pas bougé, ses yeux sont toujours fermés, et ses lèvres pincées. Je l'ouvre puis lis la lettre.

« 11/09/2001

Coucou, c'est Rachel ! Maman, papa, où êtes vous partis ? On était, il y a à peine trente minutes tous les trois dans la boutique de bonbons de l'une des deux tours jumelles, j'avais même volé un bonbon parce que c'était mon préféré. Je m'en suis voulu tu sais, papa a dût le payer, après, papa, t'es retourné dans ton bureau, tout en haut. T'avais oublié tes clés de voiture, enfin, c'est ce que tu avais dit à maman. Je ne t'ai plus revu après, papa. On rigolait avec maman, car je lui avais piqué sous le nez le dernier bonbon du paquet. Puis on a senti une secousse, on s'est posé beaucoup de questions. Puis l'alarme s'est déclenchée et on nous a dit d'évacuer les lieux le plus rapidement possible, car quelque chose d'horrible allait arriver, j'ignorais ce que c'était, je commençais à avoir peur, vraiment peur. Maman ne voulait pas te laisser seul, elle ne voulait pas t'abandonner. Elle m'avait dit qu'elle partait te chercher, papa. Je ne savais pas, je ne comprenais rien du tout. Elle m'a confié à un monsieur qu'on ne connaissait que trop bien, c'était Jean, ton meilleur ami papa. Je me souviens que maman m'a dit que je devais courir le plus loin possible. Maman, tu savais ce qu'il allait se passer ? Mais j'avais trop peur de découvrir la vérité. Tu as commencé à pleurer. Je t'ai même consolé en disant qu'en rentrant à la maison, je te préparerais un chocolat chaud avec des bouts de guimauve, et des crêpes au sucre comme tu aimais tant. Tu m'as dit que t'en mourais d'envie, et que c'était une super bonne idée. J'ai même rigolé. Inconsciente. Puis tu m'as fait un énorme câlin, et un baiser sur la joue gauche, je me rappelle, j'ai encore la trace, je me laverais plus la joue, c'est promis ! Tu as parlé avec Jean, et tu es partie dans la direction inverse de tous ces gens qui couraient vers la sortie. Tu m'as abandonné. J'étais vraiment perdu, tu sais. Puis je me suis mise à courir le plus vite possible. Comme je te l'avais promis. Parce que je tenais toujours mes promesses. Je me suis retournée. Et j'ai vu un avion percuter la tour. Je ne sais pas si j'avais compris. Je n'avais pas envie. Je n'ai pas cherché à le comprendre, ce jour, et je n'ai pas non plus cherché à l'oublier. »


DifferentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant