[1ère partie]

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Palestine, mon pays, mon sang. C'est mon bonheur mais en même temps ma douleur. Je me suis toujours imaginée son paysage d'avant, j'imagine ces champs de blés immenses qui remplaceraient toutes ces carcasses de voitures explosées, j'imagine des petites maisons entourées d'arbres et de verdure à la place de ces foutus bâtiments noircis par la fumée. Malgré l'odeur des ordures dans les rues, son paysage détruit par les bombardements et les centaines de milliers de frères, pères et mères perdus. Je sais que mon pays cache quelque chose de doux et puissant à la fois. Ma nation à elle seule équivaut à des centaines d'armées. Certes, elle n'a pas d'armes, de fusils ou de bombes mais sa plus grande richesse c'est celle de la solidarité et du courage.

Chaque matin, à l'aube, je prie al Fajr en demandant au Tout Puissant de nous sortir de ce cauchemar, pour qu'Il garde nos proches près de nous et qu'Il guide ceux qui nous font du mal. Contrairement à Maïssa, je sais que Dieu nous éprouve parce qu'Il nous aime et qu'Il veut voir à quel point on peut être courageux. C'est Baba qui me l'a dit. Maï, elle, ne comprend pas encore, du moins, elle veut jamais m'écouter. Au fait, Maïssa? C'est ma meilleure amie, c'est ma sœur. Elle et moi faisons tout ensemble, nous avons grandi ensemble, depuis l'époque du berceau, ou plutôt de la planche de bois abîmée par l'humidité des maisons sur laquelle on dormait.

Après avoir prié, je pars à la recherche de mes trésors. Je traverse toute la ville pour les trouver. Je cherche des livres, des morceaux de journaux brûlés ou tout ce que je pourrai lire, pour les cacher dans ma boîte secrète. Ma boîte cache des dizaines de parchemins, de papiers, de mots venus d'ici et là. J'aimerais tellement pouvoir les lire mais je ne peux pas. Je n'ai pas encore appris car je ne vais pas à l'école, Mama n'a pas l'argent nécessaire. Lorsque je serai enfin lire, je pourrai enfin les lire. Alors je pars en cachette parce que Mama m'interdit, elle me dit que c'est trop dangereux de sortir seule, ou de sortir tout court parce qu'il y a des « messieurs en costume bleu » qui se baladent dans la ville. Moi je ne pense pas qu'ils soient si méchants qu'elle le raconte, car pour moi chaque être humain, digne de ce nom, a un cœur. Ou peut-être suis-je un peu trop naïve.

Lors d'une de ses sorties interdites, j'aperçois alors un de ces messieurs au loin, avec un gros pistolet dans ses mains. Je me rapproche et je vois le bout de l'objet pointer le front d'un enfant. Je me demande qui c'est. J'avance encore de quelques pas mais le monsieur semble m'avoir entendu. Je me dépêche de me cacher sous la portière éclatée d'une voiture. Je regarde la scène effrayée. Je pleure. NON ! Le monsieur lui a tiré en plein dans la tête. Pleine de larme, je m'adosse contre la portière et crie au fond de moi. J'ai peur. Je suffoque. Je me lève et remarque que le chien est parti. Je cours vers l'enfant, l'âme envolée, couché sur le sol.
« Amir !!!» « Non, non, non, pas Amir !» « Ya Allah pas Amir ! Ya Allah, ya Allah !»

C'est Amir, le fils de khalti Sama.

Je regarde son corps qui baigne dans son propre sang. Je pleure de plus en plus. Je m'en veux de n'avoir rien pu faire pour le sauver. Mais qu'est-ce que j'aurai pu faire pour changer la donne, faible comme je suis ?

Je m'avance près de lui puis je le serre très fort dans mes bras, peut-être pour la dernière fois, avant de courir chercher khalti et Mama. Je repense tout en courant aux moments passés avec lui. Je repense aux nombreuses fois où il venait à la maison, nous demander de la nourriture lorsque sa mère n'arrivait plus à joindre les deux bouts, aux fois où il dormait à la maison pour jouer avec Nabil toute la nuit, aux fois où ces deux petits monstres faisaient les quatre cent coups, ce qui avait le don de rendre Mama folle. Encore une fois, une innocence volée et envolée.
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Oui, Mama t'avais raison, ces hommes n'ont pas de cœur. Mama est-ce réellement possible que l'Humanité comporte des personnes aussi inhumaines ?
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             |2 mois plus tard|

Khalti Sama est toujours aussi triste, elle passe ses journées avec nous car Mama est la seule à pouvoir la consoler. Mais je me sens tellement mal, car à chaque fois qu'elle me croise, elle n'ose plus me regarder. Du haut de mes 10 ans, je ne comprends pas, et pourtant je culpabilise tellement.

Depuis la mort d'Amir, Nabil, mon frère de 4 ans, vient près de moi tous les soirs et me demande : « Lala, pourquoi Amir ne vient plus me voir ?»
Je ne sais jamais quoi lui répondre. Comment trouver les mots pour lui dire qu'il pourra plus jamais le revoir? Si ce n'est au paradis insha Allah.

Un soir, il revient me voir en larmes :
« Tu m'as menti Lala, Amir il est parti comme Baba ! » a-t-il dis d'un ton énervé. Mais cette fois-ci je lui explique, difficilement, qu'Amir est monté au ciel, comme Baba et comme pleins d'autres gens. J'ajoute qu'ils sont bien mieux là où ils sont à présent.

« On les retrouvera tous dans le jardin d'Allah, omri, je te le promets »
Il me regarde avec un sourire sur ses lèvres et me rejoint dans mes bras. Je l'embrasse sur le front et l'enlace pour qu'il s'endorme. Des larmes coulent sur mon visage en pensant à notre vie, ou plutôt à notre survie...
Peu après, je finis par le rejoindre dans les bras de Morphée.

À travers les paroles d'une enfant palestinienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant