[4ème partie]

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J'fais preuve de patience et de persévérance. Je n'pense plus à la vengeance. Ya Rabbi, fais-moi prendre conscience que c'est à la fin que tout commence.

Allah u Akbar !
C'est des bruits de bombes. Encore ! En sortant je vois la maison de khalti Sama, qui se fait bombardée par des hommes. Je les vois de loin jeter des bombes sur sa maison. Sur le coup, j'ai peur pour elle, je me demande si elle va bien (c'est la mère d'Amir Allah y rahmo). Encore une fois, j'ai peur. Je cours prendre Maryam dans mes bras, et je dis à Yassine de prendre quelques affaires le plus rapidement possible. Je les sors vite de la maison avant qu'on vienne nous bombarder et je la ferme. On se dépêche d'aller au cimetière prévenir Mama que la maison et tout le quartier va se faire bombarder d'ici peu. Le cimetière est à 1 km de la casa, donc je connais le chemin. En m'y rendant, je n'arrête pas de pleurer, Yass aussi, il a peur, peur de ce qui peut se passer, peur de perdre encore quelqu'un, tout comme moi. La journée, la semaine, le mois, l'année a été tellement dure !

  Je n'arriverais plus à supporter tous ces malheurs qui nous arrive.

   On arrive au cimetière, j'aperçois Mama et tout le monde, je vois aussi khalti Siham, la mère de Maï et Smahane.
« Mama, derb (le quartier) se fait bombarder !!!»
Tout le monde s'affole d'un coup, personne comprend.
« Wili, benti, va-t-en d'ici, ce n'est pas pour les enfants, tu dois halluciner.»
Elle me dit ça avec autant de larmes que tout à l'heure, mais sans expression. Je la sens tellement vide.

  J'ai tellement honte de couper l'enterrement de mon petit frère, j'ai tellement mal au cœur, mais je suis obligée de les prévenir.
« Mama, khalti Sama ! Ta maison s'est fait bombardée ! Il faut qu'on parte tous d'ici.
- La Ilaha Ila Allah ! C'est pas possible, ma maison ? Ya Allah...»
Tante Sama crie de plus en plus fort, elle pleure. Elle a perdu son fils, avant son mari et maintenant sa maison. Tout comme nous on vient de perdre Nabil et maintenant notre maison. Tous les voisins pleurent  et sont choqués. Ils s'apprêtent tous à voir l'état de leur maison mais je les arrête d'un coup.
« Non ! n'y allez pas c'est trop dangereux, le quartier est rempli d'israélien maintenant. Ils vont tout bombarder ! Il faut qu'on aille au port et vite !
- Non il faut qu'on aille à Ash-Shati, le temps de trouver une solution ! " dit un voisin du quartier.
Ash-Shati est un camp de réfugié palestinien situé près de la mer, de notre quartier et fait partie de la bande de Gaza. Il a raison, j'avais oublié que ce camp existait, beaucoup d'orphelins, de mères seules, de pères seuls, de familles sans abri et de blessés étaient là-bas. Ils avaient soit perdu leur famille, leur père/mère, soit étaient seuls et blessés et n'avaient personne pour s'occuper d'eux.

  L'Imam qui fait la cérémonie pour l'enterrement de Nabil dit a ma mère qu'on peut rester avec eux, vue les circonstances, et khalti Siham est autorisée à quitter le cimetière pour aller chercher Smahane, Maï et Mehdi qui est resté avec elles (ah oui, Mehdi est amoureux de Maï et elle aussi depuis qu'ils sont tous petits, mais là, c'est simplement pour qu'il les surveille, pendant que leur mère n'est pas avec elles. Maï a 10 comme moi, et Mehdi 14 ans, c'est le plus grand de la famille. J'ai toujours rêvé qu'ils finiront par se marier inchallah !) Eux-aussi n'avaient pas le droit d'assister à un enterrement.

   Je ne cesse de pleurer, j'ai peur qu'il soit arrivé quelque chose à Maï, Smahane et Mehdi. Je pleure aussi d'avoir perdu ma maison ainsi que celle des voisins, d'avoir perdu mon frère, mon père, ma vie entière. Mama me dit chaque soir que telle est la volonté d'Allah, mais je n'arrive plus à supporter ce lourd poids sur mes épaules, du haut de mes dix ans, je suis trop fragile.

  La cérémonie est terminée, au même moment khalti Siham et les enfants arrivent. Je les prend tous dans mes bras, rassurée et Mama nous appelle et nous dit que c'est le moment de dire au revoir à Nabil... Je redoutais ce moment... Mehdi commence :
« Mon frère, j'suis désolé, j'ai pas su être là pour te protéger, j'm'en veux tellement tu sais. J'aurai pu défoncer ces fils de chien qui t'ont tué, j'aurai pu me laisser mourir a ta place petit frère.
- Mama: wouldi dis pas ça!
- Si Mama, j'aurai du le sauver. Il devrait pas être ici. Je sais qu'Allah en a voulu autrement mais j'peux pas supporter te savoir sous terre et moi ici, à continuer de vivre et respirer. T'étais jeune, beau et plein d'espoir dans les yeux, t'étais sage et doux, j'aurai tout donné pour toi comme j'donnerai tout à Maryam, Naïla, Yass et Mama. [Il se retourne vers nous] Ouais, je serai là, je suis là désormais. Jamais plus j'vous lâcherai.
- Khoya, c'est pas ta faute tu le sais.
- Je le sais. [Il pleure d'un coup, des torrents de larmes. J'ai jamais vu mon frère dans cet état de toute ma vie, à part pour la mort de Baba Allah y rahmo] Au revoir mon frère, prends soin de Baba et veille sur nous. On se retrouve au Paradis.»
Et il part dans les bras de Mama.

   Maryam me fait signe qu'elle veut lui dire un mot aussi, donc je m'assoie à côté de sa tombe :
« Bibi, nbick (nbrick, en arabe qui veut dire je t'aime)»
Et elle lui envoie un bisou avec ses petites mains, Mama vient lui prendre doucement sa main et lui fait un câlin en pleurant. C'est à mon tour de lui au revoir. J'me lance pleine de sanglot.
« Nabil, je sais que j'te reverrai Inchallah, même si tu me manques déjà tellement. Mon bébé, je t'aime tellement, repose toi bien, et veille sur nous de là où t'es. Nhabek.»
Yassine lui laisse un dernier message, Mama aussi, et le reste du quartier lui dépose un objet sur sa tombe en lui envoyant un baiser. Et on décide de tous se rendre au camp de réfugiés, tous en pleurs. (Nous n'avons que 4 voisins, présents à l'enterrement, donc nous ne sommes pas tellement à aller au refuge, petite précision)
                              ...

À travers les paroles d'une enfant palestinienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant