[15ème partie]

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En plein cœur de toute difficulté se cache une possibilité.
                             - Albert EINSTEIN

Mehdi ne se rend pas compte, mais à cause de lui Yassine le prend comme exemple.

  Ouais, Yassine commence à faire comme lui. Il marche un peu sur ses pas on va dire : il chûte à l'école, traîne avec des gars chelou, les grands du quartier le connaissent tous et ce qui m'énerve le plus dans tout ça, c'est qu'ils le voient faire comme eux mais ne le stoppent même pas. Je ne sais pas trop quoi faire, je lui parle toujours mais rien n'y fait. Une fois je suis allée le voir.

« Yassine j't'ai vu devant le bloc D
- Et ?
- T'étais avec Pipo, j't'ai vu lui serrer la main.»

  Pipo c'est un grand, grave connu. Je vous laisse deviner pourquoi.

« Tu faisais quoi avec lui?
- Ça te regarde ?
- Comment ça, ça m'regarde? Bien sûr que ça me regarde, dis-moi de suite.
- Rien wesh, il me parlait d'un truc.
- Écoute moi bien, pas besoin de faire l'innocent avec moi, tu m'prends pour une bouffonne ou quoi? Tu crois j'sais pas c'est quoi ces affaires ou c'est comment ?
- Mais d'où tu te mêles déjà ? J'suis assez grand pour savoir c'que j'fais.»

  Là, j'l'ai baffé. C'était plus fort que moi. Primo, pour ce qu'il faisait. Secondo, il faisait trop l'fou à mal parler.

« Parle bien par contre, j'suis pas ton shab.
- Ouais smeh.
- Yass, j'veux pas te soûler tu le sais très bien. Mais t'as vu toutes les galères qu'on a eu. On a enfin une chance d'étudier, de réussir peut-être et de rendre fiers Baba, Mama, Nabil et tous ceux qu'on a perdu en cours de route. Suis pas le chemin de Mehdi, il a tout chié, tout raté. T'es tellement intelligent, tu peux réussir. Alors me déçois pas frérot.»

  Il n'a pas répondu.

« Promets-moi que tu vas pas rentrer dans c'te merde khoya, promets-le moi.
- T'inquiètes Naïla.
- Promets-le !
- J'te l'promets, c'est bon ? a-t-il crié»

  J'étais un peu plus rassurée et depuis, il s'est repris. Il a compris que c'est pas comme ça, aussi facilement, qu'il allait réussir, même s'il le voit sûrement comme ça, un peu comme tous les jeunes de quartier.

  C'est vrai, les gens se demandent pourquoi les jeunes de quartier dealent. Pourquoi ? Bah j'ai la réponse. Tu vois ta mère, très souvent seule, parce que le père est parti, décédé ou s'est enfui tel un lâche. Tu la vois se tuer de 5 heures du mat' jusqu'à 21 heures au travail, tu la vois faire les courses avec 30€ même pas, pour 3,4,5,6 ou même 7 enfants. Tu l'entends pleurer de fatigue ou de désespoir quelques soirs parce qu'elle ne peut pas subvenir aux besoins de ses enfants. Que faire à la place de ces jeunes gars dans ces moments là ? Leur seul moyen de "survie" c'est le bizz'. Il ramène du bif à leur mère pour l'aider. Pour la faire rêver. Certes, ils savent que c'est hram mais ils sont jeunes et naïfs, ils sont tristes et pauvres. C'est leur issue de secours, leur petite lumière dans leur sombre tunnel plein de crasse. Ils tombent dans c'te merde qu'ils croient être le paradis alors qu'ils creusent un trou pour l'enfer: les descentes, les règlements de compte, la prison, les keufs, les frères perdus à cause de ça, les mères qui perdent leur fils, les sœurs qui perdent leurs frères. Mais comment les faire arrêter? Ils ne connaissent rien d'autre. L'école ? "Trop mal éduqués pour y entrer". L'état ? "Trop de crise pour les faire travailler". La rue ? Il n'y a qu'elle qui les a accueilli à bras ouverts.

  Malgré ça, Yassine je sais qu'il va réussir.

                 ________

  Aujourd'hui, c'est les résultats des entrées pour les écoles post-bac. Je me connecte sur mon compte. Je suis en stress. J'ai postulé dans une seule école : l'école de droit de Marseille. C'est difficile d'y entrer, j'ai passé un concours et je sais que j'ai peu de chance d'y entrer. Ils ne prennent que 100 personnes sur 1000.

  Leila est là, à côté, avec son ordi. Elle a postulé dans l'école de commerce de Toulouse. Elle aussi mise tout sur une seule école.

« Allez, dépêche, dépêche ! dit-elle à l'ordi.»

  Je suis connectée sur mes mails. Je vois un mail de l'école. Je clique dessus
  Ça charge.
  Il est court, mais j'ai peur de le lire.
  Cinq minutes passées.
  Toujours pas lu encore.

« T'attends quoi ? me lâche Leila.
- J'sais pas j'suis en stress.
- Allez lis vite et dis-moi.
- " Chère élève... Nous sommes heureux de vous annoncer que votre candidature au sein de notre école a été..."
- A été quoi ?
- "... a été acceptée." A ÉTÉ ACCEPTÉE !!!!!
- AHHHHHHHHH BRAVO MA SŒUR»

  J'suis trop heureuse, trop fière, trop contente. Tout ce que vous voulez. Aucun mot pour décrire ma joie sur le moment. Pendant 10 minutes on saute partout. Puis là, on s'arrête. Sec.

« Attends, attends, on saute partout mais toi ?
- Ah oui c'est vrai. Allez, bismillah, j'vais ouvrir le mail.
- " Mlle Leila (nom de famille), votre candidature nous a été envoyée avec succès. Nous sommes navrés de vous annoncer qu'elle n'a pas été acceptée, mais n'a pas été refusée. Vous êtes sur liste d'attente."»

  Là, c'est la mini douche froide. J'vois Leila. Elle est déçue, limite elle a envie de pleurer. Ce que j'comprends totalement. Je la prends dans mes bras et la rassure.

« T'inquiètes ma sœur, t'es sur liste d'attente t'as encore de l'espoir. On va prier pour que tu sois prise inchallah.
- inchallah.
- Tu sais quoi, on va annoncer aux parents les résultats quand t'auras une autre réponse, parce que t'en auras une inchallah.
- Mais on leur dit quoi là ?
- Qu'aucunes de nous n'a eu de réponse, OK ?
- D'accord.»

  J'me sens coupable sur le coup. Coupable d'avoir été prise et pas elle. Elle le mérite tellement. On a bossé, bossé et encore bossé pour y arriver. J'espère, je prie pour qu'elle soit prise.

  Je la regarde. Elle pleure.

« Ma sœur, pleure pas, tu vas être prise. Et puis même si tu l'es pas, t'auras d'autres solutions.
- J'aurai tellement aimé rendre fières mes parents. J'voulais réussir pour eux. Ils ont tellement sacrifié pour moi, ils se sont donnés tellement de mal pour me permettre d'étudier. Et j'ai pas envie de les décevoir.
- Écoute moi, tu ne les déçois pas. Au contraire, ils seront toujours fiers de toi quoi que tu fasses. Et j'serai toujours fière de toi moi aussi.
- Merci, Naïla.»

  Dans la soirée, Mehdi et Najib nous appellent, à Leila et moi.

« Allô ?
- Ouais, Naïla?, me dit Mehdi.
- C'est moi.
- Ouais, venez toi et Leila chez Najib ce soir.
- Pas de soucis, mais pourquoi ?
- T'inquiètes.»

  Et il raccroche.

« C'était qui ?, me demande Leila.
- Mehdi. Il est avec Najib. J'crois qu'il y a Karim avec eux aussi. Ils nous ont dit qu'ils avaient un truc à nous montrer chez Najib.
- Karim aussi ?
- J'ai entendu sa voix mais j'suis pas sure. »

  Longue histoire.
  Karim.
  C'est le pote aux garçons.
  C'est aussi le "pote" à Leila.
  Ils sont ensemble, enfin "ensemble" c'est pas le mot exact. Ils sont "ensemble" depuis deux ans. Mais c'est compliqué car Karim en fait voir de toutes les couleurs à Leila. Il est dans les mêmes affaires que Mehdi et ça, Leila peut pas le supporter. Ce que j'peux comprendre.

Dans la soirée, on va donc chez Najib. On les voit, on les selem.

« Alors, que pasa?, lâche Leila.
-...»

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Message à tous/toutes mes lecteurs/lectrices : je suis tellement désolée de ne pas poster souvent et régulièrement des parties. Merci de continuer à me suivre. Gros bisous de Madrid !

À travers les paroles d'une enfant palestinienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant