[21ème partie]

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Se battre pour une chose que l'on souhaite réellement. Jusqu'à ne plus savoir ce que l'on souhaite réellement.


27 juillet 2003 - 10h30

Aujourd'hui est le grand jour. Jour à la fois attendu et inattendu. Je dois être prête dans trente minutes grand max et pourtant je suis toujours là, dans mon pantalon de pyjama et mon haut tâché de larmes, à regarder chacune de nos photos d'enfance.

Je tombe sur ma préférée. Je m'en souviens très bien. Cela faisait déjà deux ans que nous étions arrivés en France et nous avions fait une sortie à la plage ce jour-là. Nous étions en plein mois de mars mais le soleil était déjà là, chaud, malgré le vent frais de la fin de l'hiver. Le printemps annonçait son retour.

Mehdi, Mariam, Yassine, Smahane et moi sourions tous sur la photo, avec pour fond la mer et ses vagues puissantes, éclaboussant nos pieds à peine trempés dans l'eau. Nous paraissions si heureux. Nous le sommes. Nous l'étions. L'espoir était enfin revenu dans nos cœurs et l'avenir paraissait si réel et proche.

Je me souviens que ce jour-là, Mama nous avait préparé pleins de bonnes choses à manger, elle avait tout mis dans des boîtes et nous avions tous mangé ensemble, nous avions rigolé et nous nous remémorions les bons souvenirs avec nos proches perdus. Seulement les bons. Nous nous efforcions de ne pas ressasser les blessures du passé, bien qu'elles sont encore bien ancrées en nous.

Je n'arrête pas de regarder le sourire si innocent et rempli d'espoir d'une seule et même personne...

« Naïla, allez bouge ! On va être en retard. »

Mariam me sort rapidement de mes pensées.

Elle me regarde et remarque que je pleure, assise sur le coin de mon lit, l'album photo à la main. Elle s'approche de moi et me prend instinctivement dans ses bras, sans dire un mot. Elle dirige ses yeux vers la photo, puis me sourit tristement. Elle ajoute, avant de quitter ma chambre :

« Les bons moments restent encore à venir. »

Sur cette belle parole, je décide de me lever et de m'habiller en vitesse. Je choisis de mettre un chemisier noir ainsi qu'un jean tout simple. Je me fais une queue de cheval en plaquant correctement mes bébés cheveux avec de la laque. Je mets ma montre, puis mes boucles d'oreilles, mon collier et mon bracelet et je les rejoins tous dans le salon.

Ma mère est déjà habillée.

Je suppose qu'elle l'est déjà depuis 8 heures du matin. Je l'ai entendu se lever, n'ayant pas fermé l'œil de la nuit, et rejoindre le salon. En me levant pour aller aux toilettes, je l'ai vu assise sur le petit canapé, à regarder le sol sans un mot.

Elle est assise au même endroit.

La voyant comme ça, je m'en veux de l'avoir laissée seule et de n'avoir pensé qu'à mon seul chagrin. Je cours la prendre dans mes bras et lui embrasse doucement le front.
Je décide alors de prendre les devants.

« Allez ! Yassine, Mariam, Smahane, tous dans la voiture ! »

Ils obéissent instantanément, tous prêts depuis déjà une heure.

« Allez Mama, viens, tout se passera bien in sha Allah.»

Elle se lève et rejoint la voiture, moi la suivant de près.

Arrivés dans le parking du tribunal, j'aperçois Leila et Karim un peu plus loin.

J'enlève le contact, ferme la voiture à clés et la rejoint pour la saluer. Elle me serre fort dans ses bras. Elle m'a beaucoup manqué. Je ne l'ai pas vu depuis déjà une semaine, depuis notre retour de Turquie. Elle me sourit chaleureusement et m'explique que tout ira bien.

Il n'a que ce qu'il mérite ne cesse de répéter ma conscience.

Je n'avais pas quitté ma maison depuis une semaine, et si j'avais pu, spécialement aujourd'hui, j'y serai restée encore longtemps. Mais aujourd'hui est un grand jour. Un mauvais grand jour.

Nous nous sommes battus pour quitter une terre qui nous a vu grandir et mourir à la fois. Une terre que nous chérissons de tout notre cœur et notre âme. Une terre que nous ne voulions pas quitter, mais nous n'avions pas le choix. Une terre où nous y avons laissé nos êtres les plus chers. Un sacrifice qui nous aide jusqu'à présent, qui nous donne encore plus d'espoir et qui nous permet d'avancer à l'avenir. Un sacrifice qui nous nourrit, nous loge et plus encore. Un sacrifice qui nous apporte à présent de la joie, en dépit de tous nos malheurs passés et encore marqués en nous. Un sacrifice dû à nos malheurs qui fait à présent notre bonheur.

If you want the rainbow, you have to deal with the rain. - John Green, Nos étoiles contraires [Pour avoir un arc-en-ciel, il faut accepter la pluie.]

Mehdi a tout gâché.

Mehdi n'a pas suivi le chemin.

Et Mehdi n'a pas respecté nos sacrifices.

J'ai honte. J'ai honte pour lui. J'ai honte pour Mama. J'ai honte pour nous.

On a dû faire face à tellement d'épreuves, on a dû en surmonter tellement. On a traversé la guerre, on a traversé la mer et de nombreux cimetières. Nous sommes enfin là où nous devrions être. Nous avons la famille, les études pour au final en arriver là?

On rentre dans le tribunal puis on s'installe sur les bancs en bois disposés en face de la place du juge et du jugé. Avec ma mère, nous nous asseyons au premier rang et mes petits frères et sœurs un peu plus loin derrière. Ensuite arrivent Leila et Najib qui s'installent près de moi et Karim et d'autres potes à Mehdi derrière nous.

La juge s'installe puis arrive mon frère et son avocat.

Je vous épargne les détails du procès.

Un an ferme. Trafic de stup'.

On rentre, pas un bruit dans la voiture. Personne ne parle. Seulement les sanglots de ma si triste mère.


Une semaine est passée, et ma mère est toujours aussi brisée. Ses cernes s'allongent, elle ne dort plus de la nuit. Elle travaille, rentre et nous prépare de quoi manger. Elle n'a plus cette lumière dans ses yeux, de la même manière que lorsque mon père et mon frère sont décédés. Je peux la comprendre, elle nous a tout donné, elle nous a tout permis. Elle s'est battue pour assurer notre avenir, pour au final qu'on finisse entre les barreaux ? C'est clairement une belle blague.
Et lui, pendant que sa mère se cassait le dos à travailler du matin jusqu'au soir pour nous apporter de quoi manger, dormir, et bien plus encore, lui, et bien il se pavanait à gérer son bizz' si précieux et si important, à nous apporter soi-disant de l'argent pour lequel il s'est tant battu pour aider sa triste mère à payer les factures. S'il se croit homme en agissant comme ça, il se trompe royalement. Il est censé être notre figure paternelle et se comporter comme telle. Au lieu de ça, il ne cesse de faire du haram et de décevoir sa propre mère. Probablement aussi son propre père, qui serait déçu de voir son fils agir de la sorte. Il aurait pu continuer ses études, être assidu en cours et rendre fière Mama en lui offrant ses diplômes, au lieu de ça il lui apporte un ticket pour une cellule de 9m² valable minimum un an. De quoi être fière de son fils.

À travers les paroles d'une enfant palestinienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant