Chapitre 5-Peu importe le mal (Zaza)

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DJ KRUSH – Song 2

J'ai reçu son message vers dix heures. Je dormais, avachie dans mes couvertures en pilou et mes coussins rembourrés, quand les trois notes de ma sonnerie sms m'ont extirpée de mon état de demi-conscience ensommeillée. J'ai battu des cils, puis à tâtons, fermant les yeux très fort pour oublier le soleil qui rentrait par la fenêtre dont j'avais oublié de fermer les volets, j'ai cherché l'appareil responsable de mon réveil. J'ai fini par le trouver et le rapatrier en territoire connu, afin de lire le message que je venais de recevoir.

 J'ai fini par le trouver et le rapatrier en territoire connu, afin de lire le message que je venais de recevoir

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Je restai interloquée quelques instants, pendant lesquels je relus trois ou quatre fois le message. Enfin, il arriva à mon cerveau. La réaction fut immédiate, je sautai hors de mon lit, comme un diable hors de sa boîte. J'oubliai la douche, je m'habillai en quelques secondes à peine. Je pris le temps d'attacher mes cheveux en queue-de-cheval, je ne savais absolument pas ce qui m'attendait, mais je devais y aller. Elle avait besoin de moi.

Je chaussai mes lunettes rondes aux verres teintés en rose, j'attrapai mes clés sur la table et me ruai dans mon C15. C'est pied au plancher que je sortis de mon village en prenant les virages en épingle à cheveux à presque cent kilomètres heure. J'arrivai à Biarritz en un quart d'heure, et quelques minutes plus tard j'étais devant l'hôtel. Je payai un parking, je n'avais pas le temps de tourner comme un poisson rouge pour trouver une des trois places gratuites de la ville. Je sortis de la voiture en claquant la porte, la verrouillai rapidement et me mis à courir jusqu'à l'entrée de l'hôtel. Je montai les marches quatre à quatre, jusqu'à la porte de sa chambre. Elle était ouverte, elle n'avait pas dû la verrouiller. Je la poussai, j'entrai et la trouvai étendue sur son lit, blanche comme un linge. Elle avait les vêtements de la veille, les cheveux encore plus en bataille -dieu seul savait si c'était possible- et les yeux fermés. Son visage était figé dans un rictus de douleur. Elle me chuchota :

"Je veux pas rentrer à Paris."

Mes jambes se dérobèrent sous mon corps. C'était ce qu'elle appelait une crise, ça ne faisait aucun doute. J'avais l'impression de me retrouver dans un film. Ça n'était pas moi, l'héroïne de roman, c'était elle. Je ne devais pas la sauver, ça n'était pas dans l'ordre des choses. L'épaisseur de l'air était pesante sur mes épaules. Je me sentais dans la plus grande intimité de cette femme en détresse que je connaissais depuis si peu de temps. Impossible de rester debout, je m'agenouillai près de son lit et je posai ma main sur la sienne. Elle poussa un profond soupir. Puis, d'un coup, elle m'ordonna gentiment :

"Donne-moi six pilules roses, deux vertes et deux cachets rouges et blancs s'il te plaît. Ils sont rangés dans la salle de bain, dans ma trousse."

Je me levai en m'intimant d'être forte et lui préparai un verre d'eau avec ses médicaments. Je l'aidai à se relever péniblement sur ses coussins. Elle approcha une main tremblante pour se saisir du verre, mais elle n'arriva pas à soutenir son poids. Elle prit les pilules, je l'aidai à boire lentement. Gorgée après gorgée, le liquide transparent coula sans accroche. Elle finit par s'effondrer sur ses coussins, épuisée. Elle s'endormit presque immédiatement.
Je me retrouvai seule, dans le noir presque complet seulement repoussé par sa lampe de chevet, bercée par le rythme lent de sa respiration. Je passai un long moment à la regarder. J'avais besoin de m'assurer qu'elle allait bien. Cette Andra était à peine rentrée dans ma vie que j'avais un besoin presque vital de prendre soin de sa vie. Peut-être était-ce le fait qu'elle meure bientôt qui me poussait à la couver. Elle semblait plus sereine quand elle dormait. Elle était belle, même avec son air malade, ses cheveux fous et sa joue rose -où était empreinte la marque du coussin. Je me demandai si c'était vraiment raisonnable de ne pas retourner à Paris le plus vite possible, ou au moins aux urgences. Je ressentis un frisson d'excitation à l'idée que nous bravions le bon sens si rudement intégré dans nos caboches.

Je décidai de lui laisser un petit mot lui demandant de m'appeler si elle avait besoin de moi, et je descendis au supermarché le plus proche. J'achetai de quoi tenir la journée à la regarder dormir et lui donner régulièrement ses cachets : des tisanes réconfortantes et apaisantes, une plaquette de chocolat, des barres et des boissons super énergétiques. Ensuite je remontai la rue jusqu'à la bibliothèque, où j'empruntai mes livres préférés. Je fais un saut chez moi, je pris un petit déjeuner et une douche bienfaitrice.

Je rentrai à l'hôtel où je fis chauffer une théière de tisane à la menthe. Andra dormait toujours, pourtant son sommeil semblait moins agréable. Elle remuait dans tous les sens, s'accrochait à ce rêve qui aurait dû durer encore quelques temps, elle ne voulait pas retourner à la réalité. Alors doucement je m'approchai de la fenêtre, et petit à petit j'ouvris les volets. Elle cligna des yeux, se réfugia sous la couette. Je vis tout de suite qu'elle allait mieux. Je laissai donc la fenêtre ouverte un peu pour aérer la chambre. Elle finit par émerger des draps. Je lui tendis alors un plateau avec une tasse de tisane à la menthe et une barre énergétique au chocolat.

« Je sais pas si tu as envie de manger, mais c'est l'intention qui compte. »

Au début, elle resta interdite. Cette expression sur son visage valut bien ces trois heures d'attente. Elle semblait surprise, et en même temps tellement heureuse, tellement fragile. Je vis alors, l'espace d'un instant, le tourment de son âme. Cette cage d'argile qui l'avait emprisonnée, et dont elle essayait de sortir. Je sus que cette maladie, plus qu'une maladie, plus qu'une rédemption, faisait de son esprit cet être branlant et irréel qu'elle devenait pour lutter. Je vis et je sus ensuite pour toujours reconnaître ce regard, entre la détresse et la détermination, et qui semblait demander : s'il te plaît, fais-moi rêver.

« J'ai faim. »

Elle me sourit de ce sourire citron. Doux et acide. La beauté et la destruction. Le pardon après la douleur.

Je déposai sur ses genoux le plateau, qu'elle saisit et dévora des yeux. Elle commença longuement à mâcher puis déglutir le plein d'énergie que je lui offrais. Soudain, elle déclara :

« Parfois, je veux vivre, et parfois je veux mourir. Tu es le nouveau but de ma vie, Zaza. Je vais te rendre l'érotique des mots. »

Je n'eus rien à répondre à cela. Qu'est-ce que ça fait, d'être le but d'une vie ? Et qui plus est, le but d'un an de vie ?

Elle leva les yeux vers moi, elle plongea son regard dans le mien, elle me regarda, me détailla. Pendant quelques instants, on se jaugea. Le temps s'arrêta. On était en pleine conversation visuelle. Là, à cet instant, on le savait toutes les deux : on était embarquées dans le même radeau, et pour longtemps. On savait qu'on ne se lâcherait plus. L'amitié, ce lien indescriptible, s'enroulait tout autour de nous.​


Please, make me dream ♪Version éditée papier♫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant