Chapitre 23-Mamie Odette, ou l'Enfance retrouvée (Zaza)

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BARCELLA – l'âge d'or

Mamie Odette, voilà comment elle s'appelle. C'est ma mère, ma grand-mère, mon modèle et une femme incroyable. Un refuge à elle toute seule. Mon unique famille.

Nous entrons dans le périmètre de la ferme de mon enfance et déjà, je me sens en paix. Une odeur de pain emplit l'atmosphère sucrée. J'ai envie de courir, de courir jusqu'à elle. J'ai envie de me jeter dans ses bras, de cacher ma tête entre ses deux énormes seins de Mère Nature, de sangloter, de sentir sa main caresser le dessus de ma tête doucement. J'ai envie de faire comme quand j'étais enfant, d'écarter grand les bras pour la serrer tout contre moi. Je n'ai jamais réussi à faire le tour de Mamie Odette. Elle est bien trop large. Je ne touche pas mes mains quand je l'entoure de mon amour. Qu'importe ! J'aime Mamie Odette, plus que quiconque. Je l'aime passionnément, je l'aime paisiblement.

Andra me suit, je sens son regard qui détaille l'expression de mon visage. Elle est surprise et heureuse, c'est ce cocktail que je voulais en l'emmenant ici. Je voulais voir le bonheur sur son visage.

Mamie Odette est là. Elle a entendu le crissement des pneus de la moto, comme toujours. Je n'ai jamais vu une grand-mère avec une telle ouïe. Elle est sur le pas de la porte, avec son immense sourire, celui qui a bercé mes nuits durant tant d'années. Elle prend toute la place de la porte, elle n'a pas maigri et ça me rassure. Rien ne m'a jamais plus inquiété que de la voir maigrir. C'est arrivé une fois, une seule et unique fois, et l'enfant que j'étais l'a vue fondre comme un gros bonhomme de neige au retour du printemps. C'est après ça que j'ai commencé à vivre avec elle. C'est après ça que je n'ai plus jamais revu mes parents.

Les gravillons de l'allée principale font un grand bruit pendant que nous nous élançons vers la maison. Tout autour, l'herbe très verte et haute du jardin retient mon attention. Le jardinier n'est pas passé ? Jacky le nain est toujours à son poste de fidèle compagnon immobile, fier et décoloré. Le rouge fade et sans intérêt de son bonnet se voit à peine au-dessus de l'herbe abondante, cependant je peux deviner d'ici son sourire de plâtre peint terni par le temps.

La maison est une immense ferme dont la partie haute est inhabitée. Les volets y sont clos depuis maintenant de nombreuses années, et le domaine familial semble voué à l'extinction. Le toit en état douteux n'est tout de même pas sur le point de s'effondrer, cependant le tout a un aspect assez lugubre qui fait penser à une maison inhabitée. La façade grise aux linteaux apparents peints de rouge est typiquement basque. Un vieux vélo y est adossé, reposant contre le volet de la cuisine. Je connais ce vélo, c'était le mien alors que je vivais encore ici. Il n'a pas bougé d'un pouce, des fleurs ont même poussé entre le pneu et la jante.

J'accélère, déjà je retiens une explosion de joie qui me fait monter les larmes aux yeux. J'ai envie de crier ce surnom, ce petit surnom qui n'est qu'à elle et ne sera jamais qu'à elle. Je me mets à courir, elle est juste là, je m'arrête devant elle, je m'arrête au dernier moment, et là il m'échappe, comme un sanglot :

"Mamie Ody..."

Elle plonge son regard dans le mien et essuie une larme qui lui a échappé en l'écrasant avant qu'elle n'atteigne son double menton. Elle tend les bras vers moi, et je m'y réfugie en enfouissant ma tête dans le gras confortable de son cou. Je respire son odeur de miel et de savon. Je me sens en paix.

Andra nous rejoint, Mamie Ody me lâche pour l'embrasser sur les deux joues de manière sonore. Ma chère amie est ravie, elle semble dans son élément. Elle embrasse ma mamie comme si elles se connaissaient depuis longtemps.

Nous entrons dans sa maison. L'odeur de pain y est plus présente, plus forte. Je respire un grand coup pour m'en saouler.

Andra regarde les étagères épinglées aux murs de l'entrée. Elle est fascinée par l'amoncellement de choses utiles que ma grand-mère a fait au cours des années. Contrairement à une vieille maison de vieille femme vieillie par le temps, Mamie Ody nettoie toujours tout pour que chaque objet puisse servir le lendemain si d'aguerre le lendemain l'on puisse en avoir besoin. Il y a là entassés de manière incroyablement géométrique des centaines et des centaines de livres à la couverture en cuir, un bocal avec deux poissons rouges, trois horloges indiquant respectivement l'heure d'été, l'heure d'hivers et une heure fantasque, une canne à pêche de collection, une dizaine de plantes en pots, grimpantes, tombantes, vertes, à longues feuilles, à tiges plates, à fleurs mâles et femelles, des disques vinyles pêle-mêle, une cage à oiseaux en fer forgé, des tas de feuilles et de dossiers, des lampes à huile, des lampes à ampoules, des lampes à piles, un service à thé, une malle de voyage usée, une boîte à sucre et une boîte à gâteaux.

Nous pénétrons dans la cuisine.

Mamie nous fait asseoir autour de la vieille table en bois massif, sur laquelle j'ai pris tant de repas. Elle ouvre un torchon dans lequel refroidit une énorme miche tout juste sortie du four. Elle enfile deux gants et se saisit d'un grand couteau denté, puis découpe soigneusement cette denrée précieuse. Les tranches énormes et fumantes se retrouvent dans nos assiettes, avec leur mie d'or et leur odeur caractéristique. Avec délicatesse, je fais craquer la croûte sous mes doigts, et ce bruit discret mais intense me replonge en enfance. Je porte avec délice un morceau de pain à mes lèvres, et de la même manière que je gobe les macarons, je me mets à manger le pain sans rien d'autre que son goût inimitable. Andra me regarde toujours, comprenant d'où me vient cette passion pour les macarons. Ce sont les seules pâtisseries trouvant grâce à mes yeux, parce que ce sont les seules pâtisseries que ma grand-mère n'a jamais réalisées. De tout ce que j'ai mangé dans toutes les pâtisseries possibles, je n'ai jamais trouvé personne qui égalait ma Mamie. C'est une de mes fiertés.

La conversation va bon train entre Mamie Odette et Andra. Je n'y prends pas toujours part, mais écoute, amusée.

Please, make me dream ♪Version éditée papier♫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant