Chapitre 25-Bibliothèque (Zaza)

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AYO – How many people

J'ouvre un œil, le referme aussitôt et me demande :

« Putain, où je suis ? »

Je me retourne dans mon lit et hume l'odeur des draps. Je suis chez Mamie Odette. Une féroce envie de me lever me prend, suivie d'un vilain mal de crâne. J'ai de toute évidence trop dormi.

Je m'assois sur le bord du lit et me frotte les yeux. Je n'ai pas le souvenir de m'être couchée après le repas, mais j'étais tellement fatiguée que cela n'est pas étonnant. Je passe mes mains dans mes cheveux et attrape la maudite pince qui m'a tuméfié la peau du crâne durant mon sommeil. Je la dépose sur ma table de nuit et me masse le cuir chevelu en grimaçant. Je finis par me lever et tire les rideaux occultants, inondant de soleil la chambre de mon enfance. Les draps défaits sont encore chauds de mon sommeil. Dehors, le ciel gris annonce une après-midi fade et inutile. Je me laisse tomber sur le matelas et attrape ma couette pour la serrer contre moi. J'ai une forte envie de câlin mais je refuse de déranger quelqu'un. Je soupire en serrant ma couette contre mon cœur. J'enfouis mon visage dans le coussin et laisse mes pensées embuées divaguer. Soudain, j'entends de petits coups timides contre ma porte, je l'ouvre sur Mamie Odette munie d'une tasse brûlante dont les effluves de chocolat chaud ne peuvent qu'allécher mes papilles.

« Oh, merci ma petite mamie ! »

Elle me sert son plus beau sourire, celui qui fend sa face ronde, et je le lui rends en prenant la tasse qu'elle me tend. Je me brûle le pouce et le porte instantanément à ma bouche en un geste brusque, laissant échapper un couinement de chiot à qui on écrase la queue. Mamie Ody rit. Bon dieu ! Que ça fait du bien, de l'entendre rire...

« Alors, me demande-t-elle avec un sourire charmant, qu'est-ce que tu comptes faire de ta fin d'après-midi ?

-Je ne sais pas encore, je vais y réfléchir devant ce superbe chocolat. »

Elle hoche la tête et m'embrasse le front avec douceur, puis retourne en cuisine. Je me rassois sur le lit, fermant la porte derrière ma Mamie adorée. Je me plonge dans la contemplation du ciel, gris comme le brouillard de ma tête. Mes doigts se brûlent sur la surface émaillée de la tasse mais cela ravive en moi des sensations oubliées et fortes. Je porte le liquide chocolaté à mes lèvres et un ingère une longue gorgée qui brûle tout sur son passage : ma bouche, ma langue, ma gorge, mon œsophage, et finit par réchauffer mon estomac cet dans une grande vague de chaleur, la totalité de mon être. Bordel ! C'est bon. Je ferme mes yeux tandis que la vive douleur attendue se mêle à l'arôme de la redécouverte sensorielle. De grosses larmes s'accumulent dans les valises violettes sous mes yeux, et lorsqu'elles dévalent mes joues en un défilé ininterrompu de sentiments, je les laisse mouiller mon cou et le col de ma veste. C'est bon, c'est tellement bon.

Je finis ma tasse en rêvassant. Une grande chaleur émotionnelle et spirituelle me remplit d'allégresse. Je souris au mur blanc en face de moi, devant lequel des étagères massives supportent tous les livres de ma jeunesse. Du moment où j'ai su lire, Mamie Odette a sorti ces vieilles planches du grenier et mon papa les a installées contre le mur trop vide en face de mon lit. A partir de là, j'ai commencé une collection de beaux textes, de nobles lettres et de jolies proses. Ça n'est finalement pas si étonnant que j'aie moi aussi cherché à faire partie de ce monde calligraphié.

Lentement, je me lève de mon lit, tasse en main, et m'approche des livres entassés. Certains attirent mon attention : Le Petit Prince, L'Alchimiste sont de loin deux titres parmi mes préférés. Il y en a que j'ai lus au lycée : les Liaisons Dangereuses, par exemple. Chaque livre présente de nombreux pans de ma vie. Chacun d'entre eux est porteur de souvenirs importants de mon enfance et de mon adolescence.

Je saisis calmement un tome au hasard et me rassois mollement sur mon lit. Je l'ouvre et redécouvre Les enfants de l'île du Levant, cette tragique histoire de bagne infantile. Dans les marges, des annotations et des coups de surligneur coloré attirent mon attention. Je déchiffre l'écriture toute en rondeurs et parviens à me remémorer différents éléments d'analyse de l'œuvre. Je souris, tourne encore les pages. Une autre écriture plus serrée et torturée fait son apparition, s'étalant dans les espaces blancs. Mon cœur se serre et des larmes débordent de mes yeux. Je sais très bien à qui appartient cette calligraphie. Je m'empresse de sauter les pages qu'elle parcourt. Sans grande surprise, quelques cheveux violets emprisonnés entre les pages s'échappent du joug des pages serrées. Ils sont mêlés à quelques-uns des miens. Je les chasse rageusement et passe mes mains tremblantes sur mon visage.

Ma mug tombe au sol, vide depuis longtemps et le bruit mate qu'elle produit en heurtant le parquet me fait sursauter. Je me lève, ramasse la tasse et repose le livre en soupirant.

Un autre semble me sauter dans les mains : La Nuit des Temps du superbe Barjavel. Je me saisis du petit livre de poche et me rassois. Je me plonge dans une lecture en diagonale ; ici, les plus belles phrases ont été soulignées au crayon à papier. Les critères selon lesquels j'ai souligné ces phrases il y a quelques années pourraient clairement être contestés, cependant replonger dans mes goûts de l'époque me saisit de bonheur.

Je ne sais pas combien de temps je reste là à lire, relire et pleurer. Pourtant au bout d'un moment, il ne fait plus assez jour pour continuer de lire sans lumière, alors je me lève et j'allume la lampe de ma table de chevet. Là, un cadre attire mon attention. Une photo où Andra me serre contre elle. Je reste quelques instants immobile. C'est ça ma vie maintenant ? A quoi ça ressemblera lorsqu'Andra sera morte ? Mon cœur se serre soudainement. J'ai passé mon après-midi à nager dans l'immense lac de mes émotions en bordel, mais ça n'a rien à voir. Prise d'une furieuse envie de la voir, j'abandonne mon instant nostalgie, le cadre, mes livres et le lit et je dévale les escaliers. J'atterris dans la cuisine où Mamie Ody est en train de préparer le repas du soir. Andra grignote des concombres à la crème du bout de ses jolis doigts fins, en lui faisant la conversation. Les deux semblent plongées dans d'intenses réflexions. Odette se retourne lorsque j'entre, me sourit et dit en me taquinant :

« Tiens donc, ma Zazounette a le feu au cul ! »

Son langage parfois vulgaire me surprend à chaque fois. J'ai tellement pris l'habitude voir uniquement son côté guimauve et fines herbes que les gros mots dans sa bouche ressemblent à des porcs-épics.

Je souris pourtant en la voyant noter mes yeux rougis par les larmes, l'air perturbé. Elle m'interroge du regard, cependant je me tourne vers Andra et lui saisis le bras :

« Viens, il faut que je te montre un truc. »

Elle me suit, les yeux brillants, tandis que Mamie Ody nous rappelle que le repas ne va pas tarder.

*

Nous nous attablons autour de Mamie Ody sous les coups de 22 heures. Elle nous a préparé son fameux pot-au-feu. Nous nous servons les légumes, puis Andra coupe la viande grasse à souhait des bas-morceaux. Ody nous sert un fond de pineau du voisin viticulteur retraité. La conversation va bon train et l'ambiance est à la petite blague.

Andra a aimé partager mon enfance à-travers mes livres. J'ai passé un excellent après-midi. Demain, on regarde toutes les K7 qui traînent au fond de mon placard.

Mais le plus important dans tout ça, c'est que ce soir, je vais commencer mon prochain roman. Je sais enfin de quoi il parlera : il parlera de nous. Ce soir, avant de me coucher, je dois absolument en rédiger la trame.

J'ai de nouveau envie d'écrire...


Please, make me dream ♪Version éditée papier♫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant