Chapitre II - Des sentiments

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CHARLOTTE FIT TOURNOYER la poignée de son ombrelle dans sa main et soupira. Voilà déjà deux semaines que Maximilien travaillait sur leur plantation et pas une seule fois elle n'avait arrêté de penser à lui. C'était comme si un aimant l'attirait vers lui. Chaque jour elle sortait se promener dans les champs dans l'espoir de le voir, même pour un bref instant, et lorsque ses yeux le rencontraient, une vague de bonheur l'enveloppait et la rendait joyeuse et légère. Durant les nuits, elle se l'imaginait discutant avec elle lors d'une balade à cheval où il montait un magnifique étalon blanc ou lors d'un pique-nique à l'ombre sous un arbre ou encore lors d'un bal auquel elle rêvait tant d'assister.

Charlotte releva sa tête et regarda de son côté. Il était penché au-dessus d'une canne à sucre qu'il était en train de couper. Des gouttes de sueur brillaient sur son front et cou. Son dos luisant au soleil était couvert des épaules jusqu'à la taille par d'horribles pâles cicatrices qui la firent frissonner. Charlotte inclina légèrement sa tête de côté et contempla ses longs bras. Elle se tenait assez loin de lui pour ne pas qu'il la remarque l'observer mais assez proche pour voir ses muscles rouler sous sa peau en se contractant et se décontractant à chaque coup de machette. Un étrange sentiment de fascination la fit rougir et elle détourna rapidement son regard. Qu'est-ce qui la prenait de fixer un garçon de trois ans son aîné alors qu'il était torse nu ? Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait un esclave travailler à moitié dénudé mais elle n'y avait jamais prêté attention auparavant alors que maintenant c'était comme si elle découvrait le corps masculin pour la première fois.

Que lui arrivait-il ces derniers temps ? Elle ne s'était jamais aussi intéressée d'un garçon avant. Il y avait des jeunes hommes qu'elle trouvait beaux ou élégants mais c'était la première fois qu'elle était aussi éprise par quelqu'un. Était-elle... mais cela ne se pouvait pas! C'était impossible qu'elle fût en train de tomber amoureuse de Maximilien !

Charlotte lança un nouveau regard vers lui et rougit. Elle devait avouer qu'il était plutôt attirant avec ses grands yeux olive aux longs cils épais ce qui était très rare pour les personnes à la peau foncée, son visage mat comme sculpté de pierre et son corps d'Apollon. Oui, il était très beau mais commençait-elle vraiment à l'aimer ? Elle n'avait quand même que quinze ans alors que lui en avait dix-huit ; il était légalement un adulte mais elle n'était qu'une enfant. Elle baissa son visage et étudia le bas de sa robe jaune au motif floral en faisant tourner la poignée de son ombrelle. Peut-être qu'elle était en train de s'éprendre un peu de Maximilien finalement, pourquoi sinon penserait-elle autant à lui ? Il avait tout pour plaire et ce qu'elle ressentait correspondait exactement aux sentiments qu'avait éprouvés son héroïne préférée lorsqu'elle était tombée amoureuse. Comme elle, Charlotte se sentait attiré vers lui et sentait la même fébrilité en le voyant. Elle tombait donc bel et bien amoureuse de lui, de Maximilien, l'esclave qui appartenait à son père.

Un soupir s'échappa de ses lèvres et elle serra son ombrelle entre ses mains. Esclave, bien échangeable, marchandise, un objet ne pouvant pas avoir d'émotions. Maximilien n'était pas cela, elle avait vu la colère et la haine brillaient dans ses yeux lors de sa vente et l'étonnement était apparu sur son visage lorsqu'elle l'avait vouvoyé ; il était un humain tout comme eux. Et elle l'aimait. Son père avait dit vrai, elle l'avait choisi parce qu'il lui avait plu et c'était quand il avait levé son visage vers elle qu'elle avait eu le coup de foudre.

Elle soupira de nouveau. Le monde était vraiment injuste, la personne qu'elle aimait n'était même pas considérée un être humain par des gens tels que ses propres parents. Charlotte rougit et releva brusquement son visage. Elle était là en train de s'apitoyer sur son amour impossible avec Maximilien alors qu'il ne ressentait rien pour elle à part peut-être de la haine d'être la fille de son maître. Elle pouvait bien continuer de s'inventer toutes sortes d'histoires avec lui mais elle devait comprendre que tout cela était impossible, même qu'ils deviennent amis.

Charlotte serra ses lèvres et regarda une nouvelle fois Maximilien. Il avait terminé de couper sa canne à sucre et était passé à une autre. Comme elle voulait venir lui parler, apprendre qui il était, qu'elle était sa couleur préférée, ce qu'il aimait faire, comment s'appelaient ses parents s'ils étaient encore en vie.

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Maximilien abattit une nouvelle fois sa machette sur la canne à sucre et serra ses dents. Voilà déjà deux semaines qu'il travaillait sur cette satanée plantation et tout ce qu'il voulait était de quitter ces maudits champs pour une vie où personne ne l'obligerait à gaspiller son existence pour que les blancs n'aient surtout pas à lever leur derrière de leurs sofas. Il abaissa son bras gauche qui tenait sa machette et se redressa. Le soleil tapait fort sur son dos et ses épaules et la sueur perlait sur son visage. Il serra ses poings et s'essuya le front avec le revers de sa main. Qu'ils aillent en enfer tous ces bâtards de planteurs !

Il reprit sa machette et frappa de toutes ses forces la plante setrouvant devant lui. Bien-sûr qu'il travaillait bien et rapidement, il lui fallait se défouler sur quelque chose, tuer un gardien était déjà venu dans son esprit mais il savait que c'était la mort qui l'attendrait et il n'avait aucune envie de mourir, surtout pendu. Si seulement on ne l'avait pas rattrapé, il serait à présent loin de ce bordel.

La colère l'embrasa et le fit attaquer la canne à sucre de plus belle. Même les autres esclaves ne valaient guère mieux que les planteurs, ils le méprisaient parce qu'il était un métis. Ces idiots pensaient qu'être à moitié blanc lui apportait des avantages et des privilèges. Quels connards ! Il avait toujours profité d'une attention particulière comme lorsqu'on l'avait fouetté parce qu'il avait ramassé que neuf kilos de coton et non dix. Comme il avait été reconnaissant envers son sang blanc ce jour-là quand il avait passé trois heures ligoté au poteau avec le dos en feu sans que quelqu'un daigne venir le détacher.

Maximilien frappa une nouvelle plante en la coupant d'un coup. Les planteurs, les esclaves qu'ils aillent tous au diable avec leurs plantations, leur hiérarchie et leur haine ! Il leva sa machette et l'abattit de toutes ses forces en tranchant deux cannes à sucre en un seul coup.

Charlotte et MaximilienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant