Chapitre X - Conversation

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MAXIMILIEN S'ESSUYA rapidement le front avec le revers de sa main et leva une nouvelle caisse remplie de bouteilles de rhum. Elle était lourde comme celle qui l'avait précédée et il se dépêcha de la mettre dans le chariot avec les autres. Il lui en restait encore une dizaine à charger. Maximilien soupira d'exaspération et craqua ses doigts engourdis. Cela faisait déjà plus d'une heure qu'il soulevait-posait-soulevait-posait ces caisses.

Le soleil brillait fort haut dans le ciel azur ce qui força Maximilien à enlever sa chemise. Il avait très chaud. La première fois qu'il s'était déshabillé pour travailler torse nu, des esclaves s'étaient retournés pour fixer son dos couvert de cicatrices. Bande d'idiots, n'avaient-ils jamais vu de marques de coups de fouet avant ? Oui, il avait été brutalement flagellé et en portait les cicatrices mais ce n'était pas une raison de river son regard sur lui. Le pire était quand les jeunes filles s'arrêtaient pour soupirer et le regarder avec pitié. Non, elles ne lui faisaient plus mal. Non, elles ne le gênaient pas, de toute façon il ne les voyait pas. Oui, elles avaient pris beaucoup de temps pour guérir. Oui, la guérison fut douloureuse.

Maximilien souffla et souleva une caisse qu'il posa rapidement dans le chariot. Plus que neuf.

- Bonjour, retentit soudain une voix derrière lui.

Il se retourna et reconnut aussitôt la jeune Maîtresse. Il avait complètement oublié qu'il travaillait tout prêt de sa demeure.

- Bonjour, la salua-t-il en inclinant la tête.

Elle faisait distraitement tournoyer son ombrelle en souriant. Sa partielle nudité ne la dérangeait aucunement mais elle l'avait tant de fois vu nu que cela n'était pas étonnant.

- Belle journée, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

- En effet, opina-t-il.

La réponse était plutôt non mais elle semblait de si bonne humeur que commencer à lui expliquer qu'il n'y avait rien de pire qu'une chaude journée ensoleillée pour un esclave aurait été égoïste de sa part. Il s'abaissa et leva une autre caisse qu'il se dépêcha de poser dans le chariot.

- Avez-vous chargé toutes ces caisses seul ?

- Oui, Mademoiselle.

- Vous êtes drôlement fort.

- Merci, répondit-il en souriant.

Il chargea une deuxième caisse et regarda combien il lui en restait. Encore sept.

- Cela fait longtemps que vous les déplacez ?

- Une heure, j'pense.

- Vous devez être fatigué. Ne voulez-vous pas prendre une pause ?

- J'peux pas, Mademoiselle, on m'fouettera si on voit que j'travaille pas.

- Je vous donne la permission de vous reposer.

Maximilien sourit et s'adossa aussitôt contre le chariot en enlaçant ses mains derrière sa nuque. Il ne pouvait pas nier qu'une petite pause était exactement de quoi il avait envie.

- Vous aurez pas de soucis à cause d'moi après ? s'enquit-il.

- Non, ne vous inquiétez pas, personne ne nous voit de toute façon.

Maximilien hocha la tête et étira ses bras. La Maîtresse commençait à lui plaire, elle était gentille de lui accorder une pause. Jamais auparavant le Maître de l'ancienne plantation où il travaillait ou un gardien lui avait permis de se reposer pour quelques instants et cela même quand il avait été un enfant. Il détendit ses muscles, fit craquer son cou et dévisagea la jeune fille. Elle portait une jolie robe claire avec un décolleté peu profond laissant voir la blancheur de sa peau et aux manches courtes idéales pour cette chaude journée d'été. Sa taille était resserrée par un fin ruban en soie rose et un autre était attaché dans ses longs cheveux blonds. Dans ses mains elle tenait une petite ombrelle de couleur blanche qui servait à protéger son teint pâle. En conclusion Maximilien dût s'avouer que la jeune Maîtresse était très jolie.

- Mon père et moi allons accueillir des invités aujourd'hui, dit-elle soudainement.

- Ah ? dit-il en ne sachant pas quoi répondre d'autre.

- Oui, mon oncle et ma cousine Louise vont venir pour une semaine, raconta-t-elle.

- Est-ce que vous êtes contente d'leur arrivée ?

- Pas trop honnêtement, avoua-t-elle visiblement réjouie par le fait qu'il ait posé une question, je veux dire cela me fait plaisir de voir mon oncle que j'aime beaucoup mais j'ai toujours eu des relations plus froides et distantes avec Louise.

Maximilien opina et sourit. La manière ouverte qu'elle utilisait en lui adressant la parole l'amusait, elle ne se gênait aucunement de lui parler de sa famille et de ses préférences.

- Et pourquoi donc ? demanda-t-il. 

- Elle est de deux ans plus jeune que moi mais se considère plus intelligente et supérieure en tout et ne fait que critiquer mes paroles et gestes. Je n'y prête pas attention mais elle finit par devenir agaçante.

- Une fillette de treize ? éclata-t-il de rire.

- Vous ririez moins si vous la connaissiez, malgré son jeune âge elle se comporte comme une vieille femme grincheuse, se défendit Charlotte de la Vallières.

- Et qu'est-ce qu'elle critique ?

- Oh tout mais principalement ma manière de penser. Selon elle, je suis beaucoup trop ouverte d'esprit, idéaliste et sensible aux malheurs des autres.

- En quoi c'est mauvais ?

- Je ne sais pas, soupira la Maîtresse en haussant ses épaules. Mon père partage aussi l'avis de ma cousine mais je les ignore tous les deux.

- Il vous puni pas pour cela ?

- Non, il me fait bien-sûr la morale mais rien de plus. Vous punissait-elle votre mère ?

- Jamais, répondit Maximilien en secouant sa tête.

Sa mère était au contraire celle qui était contre toute sorte de punition. Elle l'avait tant de fois vu fouetté, enfermé et enchaîné qu'elle n'arrivait même pas à hausser le ton avec lui. Il se rappelait beaucoup trop bien des larmes qu'elle versait à chaque fois qu'il revenait, ensanglanté et se tenant à peine debout, après avoir reçu une vingtaine de coups de fouet sur le dos. Celui qui n'hésitait jamais à le châtier, autre que les gardiens, était le Maître, son père. Maximilien ramena ses mains devant lui et craqua ses doigts. La haine remplit son cœur au souvenir de cet horrible homme qu'il détestait tant.

- Voulez-vous que je demande à quelqu'un de vous aider pour finir de charger le chariot ? brisa le silence la jeune Maîtresse.

- Merci mais j'préfère travailler seul, refusa-t-il, d'plus j'ai presque terminé.

- D'accord, je pense que je vais rentrer chez moi. Cela a été un plaisir de vous voir de nouveau, Maximilien, dit-elle en souriant.

- Bonne chance avec votre cousine, Mademoiselle.

- Merci, j'espère qu'elle ne se comportera pas trop comme une vieille femme grincheuse, le remercia-t-elle en imitant sa cousine avec une grimace.

À cela Maximilien ne put s'empêcher d'éclater de rire en faisant rire la Maîtresse avec lui.

- Vous êtes définitivement une personne bien unique, Mademoiselle.

Charlotte de la Vallières sourit et lui fit un signe de la main en guise d'au revoir. Il la suivit du regard et s'abaissa pour prendre une caisse lorsqu'il ne la vit plus. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas ri et il devait avouer que rire lui avait manqué. Il souleva la caisse et la posa dans le chariot. C'était incroyable à quel point la Maîtresse lui avait remonté le moral, même le travail ne lui paraissait plus si horrible. Les blancs n'étaient donc pas tous des idiots égoïstes qui ne pensaient qu'à leur confort et plaisir.

Maximilien sourit et chargea une autre caisse. Il avait aimé parler avec Mademoiselle de la Vallières comme la dernière fois et apprécierait la revoir. De simples échanges de temps à autre ne pouvaient pas lui faire de mal et lui permettraient de sortir de son habituelle mauvaise humeur. C'était tellement rare qu'il adresse la parole à quelqu'un depuis la mort de sa mère que certains esclaves avaient supposé qu'il était muet. Il ne l'était pas cependant.

Charlotte et MaximilienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant