LA MAÎTRESSE N'était pas encore rentrée. Sophie regarda par la fenêtre dans l'espoir de la voir mais ses yeux ne trouvèrent que des esclaves en train de nettoyer le perron. Elle n'arrivait toujours pas. La jeune servante soupira et s'assit sur un fauteuil. Elle devinait où était Charlotte de la Vallières. Depuis plusieurs semaines, elle disparaissait pour quelques heures voire une demi-journée pour revenir rêveuse, les yeux brillants et les joues roses. La pauvre était donc bel et bien amoureuse. Elle ne l'avait pas crue lorsqu'elle lui l'avait dit il y a plusieurs moi de ce jour mais à présent elle n'avait pas d'autre choix que d'accepter la réalité. Charlotte de la Vallières aimait Maximilien. Malgré le fait qu'elle n'était pas du genre à se laisser impressionner par le physique, elle devait avouer que le jeune métis était particulièrement attirant mais ce n'était pas une raison valable pour tout jeter en l'air et s'éprendre éperdument de lui. Maximilien était un esclave ce qui voulait dire que toutes relations entre eux étaient formellement interdites.
Sophie soupira de nouveau et appuya son front contre sa main. Elle lui avait cependant dit d'arrêter de penser à lui mais la Maîtresse avait comme d'habitude fait qu'à sa tête. Comprenait-elle qu'elle risquait beaucoup d'ennuis et non seulement pour elle mais pour le jeune esclave aussi ? Elle allait être déshonorée et lui pendu si son père venait à découvrir qu'ils se voyaient. Tout ce manège devait prendre fin.
Sophie était elle aussi une esclave de Charles de la Vallières mais en étant la domestique de sa fille et ayant grandi avec elle, elle était considérée comme partie de la famille. Âgée de dix-sept ans, éduquée et plutôt jolie malgré ses traits un peu lourds, elle était la meilleure amie et confidente de Charlotte de la Vallières et espérait pouvoir user de cette confiance de longue date pour la convaincre d'arrêter de voir Maximilien.
La porte s'ouvrit soudainement et entra la Maîtresse. Ses yeux pétillaient et un sourire illuminait son visage heureux. Elle semblait rayonnée de bonheur tant elle était de bonne humeur. Toute cette joie déstabilisa la servante. N'avait-elle pas décidé de la persuader à couper tout contact avec la personne qui la rendait si joyeuse ?
- Bonjour, Sophie ! Comment allez-vous ? Belle journée n'est-ce pas ? chantonna-t-elle.
- Oui, très belle, en effet, répondit-t-elle rapidement en se levant.
Elle devait la confronter même si cela la déchirait de briser le bonheur de son amie aussi cruellement. C'était pour son bien qu'elle allait le faire après tout.
- Où étiez-vous, Mademoiselle ?
- En train de me promener comme d'habitude, Sophie, répondit la Maîtresse en enlevant son chapeau.
- Je sais que vous étiez en train de voir Maximilien.
La jeune fille se figea brusquement et tout sourire disparut de son visage. C'était la première fois que Sophie la voyait changer d'humeur aussi rapidement. Ses traits se durcirent et elle serra ses lèvres en croissant étroitement ses bras sur sa poitrine. La servante s'attendit à de l'indignation ou à une dénégation catégorique mais au lieu de cela reçut une confirmation ferme.
- Oui, j'étais encore une fois en train de visiter Maximilien.
- Vous savez que vous jouez avec du feu n'est-ce pas ?
- En veillant à ce qu'il n'attrape pas une infection après s'être fait fouetter ? Non, je ne pense pas.
- Vous êtes parfaitement au courant de tous les risques que vous prenez en le fréquentant, prononça froidement Sophie.
- Personne n'a encore interdit de soigner les esclaves et leur apprendre à lire tant que je sache, rétorqua la Maîtresse.
- Car vous lui apprenez à lire en plus ! s'écria la domestique en n'en croyant pas ses oreilles.
- Dit celle qui sait parfaitement lire et écrire.
- Oh mon Dieu mais ne vous rendez-vous pas compte de la gravité de vos actions ? explosa-t-elle. Ce n'est pas tant la raison de vos rencontres qui peut vous coûter cher mais leur existence même ! Avez-vous oublié l'identité de votre Maximilien ? Il est un esclave, Mademoiselle, un esclave !
- Où voulez-vous en venir, Sophie ? la coupa la jeune fille.
-Vous devez arrêter de le voir.
- Et de quel droit osez-vous me dire cela ? Êtes-vous mon père pour me dicter comment je dois me comporter ?
- Cela n'aurait eu aucune importance même si je l'étais. Mademoiselle, comprenez bien que c'est pour votre bien que je vous demande cela. Je vois bien que vous aimez ce jeune métis et d'après vos bonnes humeurs excessives, je présume que vous ne lui êtes pas indifférente non plus mais votre amour est impossible, interdit !
- Et alors ?
- Et alors ? Le déshonneur et la pendaison de votre bien-aimé ne sont pas assez pour vous ?
- Maximilien et moi ne sommes qu'amis mais si un jour il prend le risque de m'embrasser, je suis prête à devenir la honte de ma famille en entourant mes bras autour de son cou et répondant à son baiser.
Sophie ouvrit la bouche mais ne sut quoi répondre.
- Vous... vous l'aimez à un tel point ? réussit-elle à articuler.
- Oui, Sophie, je l'aime à un point où les conséquences ne m'arrêtent plus.
Sophie se rassit sur le fauteuil et prit sa tête entre ses mains. La raisonner était peine perdue, elle la connaissait beaucoup trop bien. Elle continuait à se tenir droite devant elle avec les sourcils froncés.
- Pardonnez-moi, Mademoiselle, mais vous avez perdu la raison, soupira-t-elle.
- Je ne le dénie pas.
- Vous avez dit que vous n'êtes qu'amis pour l'instant ?
- Oui, et cela m'étonnerai que cela change. Contrairement à moi Maximilien est plus qu'au courant des dangers qu'une relation entre deux personnes de couleur différentes peut avoir en étant l'enfant d'une mère esclave et d'un père planteur.
La convaincre de cesser de la voir était impossible et ne lui donnait que deux options : tout raconter à son père ou devenir sa complice.
- L'aimez-vous vraiment, Mademoiselle ? redemanda-t-elle.
- À la folie.
- D'accord mais je vous préviens tout de suite, si le Maître apprend à propos de vous, je refuse de me faire punir avec vous. Je ne savais rien.
Sophie eut à peine le temps de finir sa phrase qu'elle se retrouva dans l'embrassade de la Maîtresse.
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Charlotte et Maximilien
RomanceMaximilien est un métis, né bâtard d'une mère noire et d'un père planteur, esclave illettré et d'un caractère farouche et rancunier. La veille de son dix-huitième anniversaire, il décide de s'enfuir mais est rattrapé et condamné à cent coups de foue...