Le brasier de la source

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L'eau. Il nageait depuis plus de deux heures dans la piscine municipale, son bonnet lui serrant la tête et ses lunettes s'enfonçant autour de ses yeux. Louis avait pour habitude de toujours trop serrer. Combien de fois avait-il perdu ses lunettes lors d'un plongeon et du continuer la compétition sans rien y voir ? Ces trop nombreuses fois lui avaient servi de leçon et, à présent, le jeune homme tendait les élastiques au maximum. Il avait eu mal au début, et les mettre n'avait jamais rien d'agréable, mais il ne les perdait plus. Il filait comme un poisson et se débrouillait toujours pour finir sur le podium. Il était même capitaine de l'équipe de natation de son lycée et il en était très fier.
Lorsqu'il sortit du bassin, se hissant à la force de ses bras plutôt que d'emprunter l'échelle, il mit sa serviette autour de son cou et fila vers les vestiaires, l'eau dégoulinant de ses cheveux. Il n'y avait plus grand monde, et il devait se dépêcher s'il ne voulait pas finir de prendre sa douche dans le noir.
Il était vingt heures dix-neuf quand le garçon enfourcha sa moto et fila dans la nuit, le vent froid séchant ses cheveux humides et s'engouffrant dans son blouson de cuir. Il aimait l'Eau mais détestait l'Air.


Le feu. Voilà plusieurs longues minutes que Harry observait les flammes dans la cheminée de son appartement. Il avait été si heureux que ses parents achètent ici. Il avait attendu trois semaines. Trois longues semaines avant de pouvoir enfin craquer l'allumette et laisser la chaleur consumer les bûches. Depuis, il avait élu domicile juste devant l'âtre. Un tapis, un fauteuil, des coussins, des couvertures. Une table basse aussi, recouverte de livres et de papiers. Harry était assis à même le sol, enroulé dans le plaid mauve, son ordinateur portable posé à côté de lui. Il tenait dans ses mains une tasse chaude, et buvait quelques gorgées de temps à autre, sans lâcher le feu du regard. Harry était fasciné, envouté. Une voix cependant le tira de son petit confort.
Il se leva alors et ferma les vitres de verre qui le séparaient à présent de sa source de chaleur. Il fouilla dans la commode, en sortit une écharpe, des gants et un bonnet. Il enfila un manteau chaud, des chaussures fourrées, et se glissa par la porte d'entrée.
Il était vingt heures dix-neuf quand le garçon déboula dans l'avenue pour se rendre au supermarché encore ouvert, soufflant sur ses mains pour se réchauffer. Il aimait le Feu mais détestait l'Air.


Louis filait à travers les rues, le bout du nez commençant à geler. Harry marchait rapidement, le nez caché dans son écharpe. Louis accéléra pour passer au feu orange, Harry traversa sur le passage piéton avant qu'il ne soit vert.

- AAAH !

Chacun cria en même temps. Harry se recroquevilla sur lui-même, Louis fit déraper la moto pour éviter la collision. Les roues glissèrent et il se retrouva au sol, étendu comme une étoile. Harry se releva et, après quelques secondes de réflexion, courut vers le jeune homme qui était en train de défaire son casque.

- Ça va ?
- Oui, mais quelle idée de traverser alors que ce n'est pas vert ?!
- Quelle idée d'accélérer alors que c'est bientôt rouge ?

Ils se toisèrent quelques instants, chacun semblant finalement considérer qu'il était en tord. Harry tendit sa main à Louis qui se remit sur ses pieds.

- Harry.
- Louis.

Ils se sourirent le temps d'une petite seconde, se serrèrent finalement la main, et Louis fit quelques pas claudiquant pour ramasser la moto.

- Je suis désolé ! crièrent-ils finalement dans le même temps.

En se tournant l'un vers l'autre, leurs regards se croisèrent et ils se mirent à rire.

- Je sais qui tu es, avança Harry. Tu es Louis, le capitaine de natation, non ?
- Exact, tu es au lycée Baudelaire ?
- En terminale éco oui.
- Sérieusement ?! Je ne t'ai jamais croisé.
- Tu n'as pas fait attention sans doute. Je t'ai renversé mon café brulant sur les doigts une fois, à la cantine, avoua t-il en baissant les yeux.
- C'était toi ?! Je ne t'ai pas reconnu.

Harry ôta alors son bonnet, dévoilant ses cheveux mi- long à son interlocuteur.

- Effectivement c'était bien toi, soupira malicieusement le nageur.
- Je crois que je me suis déjà excusé.
- Oh oui ! Tu m'as poursuivi durant deux jours entiers pour être certain que mes doigts n'avaient pas fondu.
- Et tu m'as alors répliqué que tu n'étais pas en glace. Pourquoi glace d'ailleurs ?
- Le Feu fait fondre la glace.

Eau, Glace, Harry fit immédiatement le rapprochement.

- Bien trouvé la petite référence, s'inclina t-il en une petite révérence grotesque.
- Il n'y a pas que des abrutis à Baudelaire.
- Un bon paquet quand même.

Louis releva le visage, le bout du nez complètement gelé et les cheveux durcis par le froid. Harry croisa une nouvelle fois le regard du nageur.

- Ça te dirait d'aller boire quelque chose de chaud, proposa t-il finalement.
- Pour que tu me brûles la main une seconde fois ?
- Je suis moins maladroit qu'il y a deux ans !
- D'accord alors.

Ils se tapèrent dans la main et sentirent chacun comme une petite décharge. L'eau et le Feu ne faisaient décidemment pas bon ménage, et rien ne disait que la soirée allait se passer tranquillement.

Louis ouvrit la porte et laissa Harry passer le premier. Ce dernier chercha une table libre et fut très déçu de voir que la place près de la cheminée –dont les flammes étaient artificielles– était prise. Il se résilia alors à s'installer près de la vitrine et constata cette fois avec plaisir que des petites bougies avaient été allumées. Directement, Harry les posa sur la table.

- Tu fous tout le décor en l'air, plaisanta Louis.
- C'est fait pour être agencé de toutes les façons possibles et inimaginables vois-tu ?

Les deux garçon se mirent à rire et commandèrent chacun une boisson ainsi qu'une douceur pour l'accompagner. Louis prit une canette de soda et un donut, Harry un chocolat chaud et un cookie.

- Alors, pour quand est la prochaine compétition ?
- Ce week-end. C'est en individuel et non en équipe, j'ai besoin de m'entrainer si je veux gagner.
- Tu es déjà très bon.
- C'est gentil.

Tous deux sourirent à nouveau et continuèrent à se régaler en silence quelques instants.

- Tu fais du sport, toi ?
- Non. Ce n'est pas pour autant que je ne fais rien.
- Quel est ton talent caché alors ?
- Je suis plutôt manuel. Je travaille avec mes mains. Je construis avec des allumettes et je crée un système d'ombre et de lumière en enflammant le tout.
- Sérieusement ? Je n'aurai jamais la patience pour cela.
- Tout s'apprend.
- Certes. Mais je ne crois pas que cela me viderait de mon trop plein d'énergie.
- Nager te le permet ?
- Etre dans l'eau, tout simplement. C'est apaisant et j'évacue les émotions, les problèmes. Je m'y sens comme dans un cocon.
- Et tu n'as pas peur de te brûler en restant avec moi ?
- L'eau éteint le feu, c'est bien connu.

Ils se défièrent du regard, malicieusement. Il n'y avait dans leur jeu que de la provocation adolescente. La fougue, le désir. Chacun avançait ses pions avec ruse.

- Où se déroule la compétition ? ajouta Harry.
- A la piscine du lycée.
- Je viendrai.
- Sérieusement ?
- Je rejoindrai les rangs de tes supporters.
- Es-tu certain que cela me ferait gagner, ou me porteras-tu malchance ?
- Pourquoi cela ?
- Toute la cire de ta bougie est collée à mon blouson !

Harry releva le visage et observa alors la manche du jeune homme assis en face de lui. Louis semblait épris d'une envie de rire, mais ses sourcils laissaient paraître sa prétendue colère. Finalement, il décida de laisser le rire l'emporter.

- Je suis désolé, s'excusa Harry.
- C'est moi qui aie laissé mon bras trainer un peu trop près.
- C'est moi qui aie posé les bougies sur la table.
- Alors nous sommes tous deux responsables.
- Comme pour le passage piéton.

Ils se sourirent à nouveau. Le Feu et l'Eau pouvaient-ils être amis ? Harry, tout en soutenant le regard de Louis, reprit la tasse de ses deux mains et finit son chocolat. Il croqua ensuite dans son cookie, tandis que Louis buvait son soda. Il avait déjà fini son donut.

- Tu comptes faire quoi après le bac ?
- J'en sais rien, révéla Harry. Toi ?
- Je ne sais pas non plus.
- Ce qui est sûr c'est que je veux aller dans un endroit sans neige !
- Pourquoi ?
- Il fait trop froid pardi !

Louis se mit à rire. Les deux garçons s'entendaient bien. Lorsqu'ils eurent fini boisson et dessert, chacun sortit son porte monnaie au même moment.

- Je paie ! J'ai failli te renverser.
- JE paie ! J'ai failli te faire perdre des doigts.

Finalement, puisque chacun n'était d'accord pour laisser l'autre payer, ils donnèrent tous deux la monnaie équivalente à ce que contenait leur estomac. Harry accompagna Louis jusqu'à sa moto.

- Bon, je vais aller faire mes courses, décréta t-il en secouant la tête.
- Tes parents ?
- C'est pour ça que je suis sorti de chez moi d'ailleurs !
- Je te dépose au supermarché ?
- C'est à côté !
- Plus maintenant, c'est fermé, bouffon !

Harry fit une moue exagérée en entendant Louis l'appeler de cette façon. Alors, sans réellement réfléchir, il leva ses mains gantées et ébouriffa les cheveux de son interlocuteur. Le chahut intégra le jeu. Ils couinaient et couraient sur le trottoir avant que Harry ne se prenne les pieds dans la chaine de la moto et ne s'écrase presque sur le sol. Louis l'avait rattrapé avant.

- L'Eau peut aussi sauver le Feu, de ce que je vois, marmonna Harry pas encore tout à fait sur ses pieds.

Il se retrouva finalement face à Louis et ce dernier lui remit une mèche de cheveux en place.

- Tu me fais rire, avoua t-il.
- Je ne vois absolument pas pourquoi.
- Un jour avec ta maladresse, qui ne t'a d'ailleurs pas quitté, tu vas foutre le feu chez toi.
- Un jour, à force de sauver les gens, tu vas finir par te noyer.

Leurs yeux pétillaient, mais Louis se détourna le premier et attrapa le casque attaché à la moto.

- Et toi ? jubila Harry.
- Je risque déjà moins que toi.
- Ça reste à prouver ...

Il n'eut pas le temps d'en dire d'avantage que Louis lui avait retiré son bonnet et plaqué le casque sur la tête et les oreilles. A présent, il serrait la sous-gorge.

- Je peux plus respirer ! se plaignit le garçon.
- Chochotte !

Louis s'installa sur la moto et Harry s'assit derrière lui tant bien que mal.

- Accroche toi ! prévint le nageur en voyant que Harry observait partout autour de lui. Sinon tu vas tomber sur les fesses quand je vais démarrer.

Voyant que ce dernier ne réagissait pas, Louis contorsionna son bras pour taper le jeune homme qui sursauta et, finalement, enroula ses bras autour de la taille du conducteur. Il enclencha ensuite le moteur et se mit en route. Louis fit exprès de faire plusieurs détours. Il sentait Harry se pencher d'avantage sur son dos tandis qu'il continuait à observer partout, la bouche à demi ouverte, respirant cette semi-liberté. Il s'arrêta finalement près de l'entrée d'un parc.

- Et c'est ça, ton fameux supermarché ?
- On a bien le droit de s'amuser un peu, décréta t-il mystérieusement.

Il observa Louis quelques secondes avant de sourire et de baisser son regard sur sa main tendue. Hésitant, Harry tendit finalement la sienne et les doigts du nageur se mêlèrent aux siens. Ils marchèrent jusqu'à une grille en fer.

- C'est fermé, lâcha Harry sans surprise.
- Et c'est ça qui va nous empêcher de passer ?

Il farfouilla dans sa poche et sortit un petit couteau suisse et trafiqua le cadenas pendant un bref instant avant de pousser le portail du pied.

- Tadam l'artiste !

Harry laissa échapper un petit rire et suivit son nouvel ami entre les boissons et les arbres. Ils foulèrent la pelouse humide en se tenant l'un à l'autre pour éviter de glisser, et s'arrêtèrent devant la fontaine.

- C'est dommage qu'elle ne fonctionne pas la nuit, souffla Louis.
- Trop dommage en effet, ajouta Harry sans montrer aucun signe de déception.

Louis lui tapa sur le bras.

- Ingrat !

Ils continuèrent alors à se promener durant un long moment, se tenant par la main et balançant leurs bras au rythme de leurs paroles et de la musique qui filait du téléphone de Louis. Finalement, quand ils revinrent sur le parking où attendait la moto, désespérément seule, ils s'installèrent l'un en face de l'autre. Harry regardait Louis, et Louis regardait Harry. Sans qu'aucun des deux ne le prévoit vraiment, ils s'avancèrent l'un en face de l'autre, et s'arrêtèrent en même temps. Allaient-ils se cogner ? Harry ne bougea plus, et ce fut Louis qui fit le dernier pas pour poser ses lèvres sur celle de Harry. Ils s'embrassèrent doucement, délicatement.

- Est-ce là l'histoire d'une nuit ? demanda Harry. L'Eau qui joue avec le Feu ?
- L'eau peut aussi se brûler dans ce jeu alors.
- Et le feu peut s'éteindre.
- Chacun risque quelque chose, en soit.
- Comme si c'était nouveau !

Harry enlaça Louis et l'embrassa à son tour. L'Eau et le Feu pouvaient effectivement être amis. Ils pouvaient même être plus que cela.

Recueil d'One-ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant