Après m'avoir déposée chez moi, James et Max étaient partis. J'étais donc seule à la maison. Il était 16h35 lorsque mon téléphone vibra:
De: Maman
Ta petite soeur est restée dormir chez sa copine et moi j'ai une réunion très tard donc le patron m'a payé une chambre d'hôtel juste à côté des bureaux. Tu vas être seule jusqu'à 17h, demain. Bisous, appelle-moi si il y a un problème.24h. 24h à moi toute seule. Je souris en regardant mon écran. Je me retournai et contemplai mon reflet dans le miroir. J'allais profiter de ses 24h pour m'occuper de moi, me reposer. C'est alors que je remarquai une griffure sur ma pommette. Je repensai directement à Bill, appuyant sa lame sur ma joue. Je frissonnai.
La sonnette retentit soudainement. Méfiante, je regardai par la fenêtre pour voir qui me rendait cette petite visite inattendue. J'aperçus une petite dame, toute sale et courbée. Sa pauvreté, sa saleté et sa fragilisé me prouvaient que je n'avais rien à craindre. Je lui ouvris donc.
- Je peux vous aider? lui demandai-je gentiment.
- Je...enfin...oui. Je suis très sale comme vous pouvez le voir. Vraiment très sale. Je ne saurez comment vous remercier si vous acceptiez de me prêter votre douche pour quelques minutes. Je ne prendrais pas longtemps, promis.Ses yeux implorants me touchèrent. D'un côté, lui accorder quelques minutes de ma salle de bain me faisait profondément plaisir. Mais qui me disait que cette vielle femme n'était pas en réalité une voleuse? Si ma mère était là, elle n'aurait jamais accepté. Et bien justement, j'allais en profiter. Je fis entrer la pauvre femme à l'intérieur. Après tout, se méfier de tout était lourd. La femme me sourit, sincèrement reconnaissante.
- Merci, me souffla-t-elle.
Ses dents étaient parfaitement blanches, chose étrange par rapport au reste de son corps sali par la vie. Elle était petite et sa peau était mat. Ses grand yeux verts paraissaient tristes mais ils pétillaient de malice. Ses cheveux ondulés étaient emmêlés. Une bonne douche lui ferrait sûrement du bien. Je lui indiquai la salle de bain, lui donnai une serviette propre et elle s'enferma dans la pièce, sourire aux lèvres. Alors que j'entendais l'eau couler, je sortis deux bières du frigidaire et mis sur la table quelques petites choses à grignoter. Une agréable odeur de gel douche se répandit dans la maison lorsqu'elle sortie de la salle de bain. Elle me rejoignit dans la cuisine et, tout en continuant à sourire, me dit:
- Je ne vous remercirais jamais assez pour cela, jeune fille...
- Lalie. Appelez-moi Lalie. Et vous ? Quel est votre nom ?
- Je m'appelle Josia.Elle prononça son nom avec un accent espagnol des plus charmants.
- Alors enchantée, Josia! Asseyez-vous, je vous en pris!
- Oh... dit-elle surprise par l'invitation. Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse...
- Vous n'abusez de rien, Josia. Je vous le propose.Elle s'asseya donc, timide. Plusieurs questions trottaient dans ma tête. Comment cette femme en était-elle arrivée là ? Quel âge avait-elle ? Ses dents blanches et sa peau veloutée lui donnaient trente ans mais ses rides et ses cheveux grisonnants lui en donnaient au moins soixante-dix.
Elle sourit malicieusement.
- Vas-y, pose tes questions, me dit-elle.
Sa phrase me surprit. Comment avez-t-elle deviné ?
- Eh bien... commençais-je timide.
- Tu dois sûrement te demander comment j'en suis arrivée là ? Quel âge j'ai ? À quoi ressemblait ma vie d'avant ?
- Oui...un peu...
- Alors je vais te raconter. Je te le dois bien. Je suis née en Espagne, mon pays natale.Le fameux accent... il venait donc de là. Josia continua:
- J'ai vécu une enfance très paisible dans une famille modeste avec des parents aimants et une soeur avec laquelle je m'entendais à merveille. Puis je suis devenue une jeune adulte épanouie et j'ai rencontré Angelo, l'homme de ma vie. Nous nous sommes mariés très vite. C'était une évidence. Cinq ans plus tard, nous avons eu notre premier enfant, Paulo. Un garçon très gentil, mon Paulo. Puis Maria est arrivée trois ans après lui. Qu'elle était belle...
Josia regarda le sol un bref instant, triste, comme si elle se rappelait de quelque chose. Elle releva le visage.
- Oui, j'ai bien parlé au passé. Elle était magnifique. Ils ont grandi ensemble. J'avais un mari aimant, des enfants géniaux et j'exerçais le métier de mes rêves: boulangère. Ma vie était parfaite. Puis les enfants sont devenus adultes. Ils ont quitté la maison l'un après l'autre et chacun a rencontré sa future moitié. J'ai fait de très beaux mariages pour eux deux, malgré nos moyens limités. Mes petits-enfants sont ensuite nés de ces deux mariages. Paulo et Augusto, le mari de Maria, s'entendaient très bien. Et encore mieux, ils avaient la même formation de plombier. C'est pourquoi ils ont décidé de créer leur propre société. Ils étaient très liés tous les deux. Mais un beau jour, Augusto a commencé à se montrer violent avec Maria. Elle ne disait rien, évidemment. C'est Laura, leur fille, qui m'a prévenue. Cette petite était très courageuse. Elle surmontait cela avec une force que je n'aurais pu lui soupçonner à elle, gamine fragile qui hurlait dés qu'elle apercevait une araignée. Et pourtant elle supportait la vue de son père frappant sa mère en faisant tout pour que son petit frère ne tombe jamais sur cette scène. Tout cela, à seulement seize ans. Elle n'en a parlé qu'à moi, me faisant jurer de ne pas en parler à Angelo. Je n'ai donc rien dit. J'étais faible face au malheur de ma fille. Cette situation a duré trois ans. Trois ans d'horreur ou je ne mangeais plus, où je voyais ma fille déprimée et où les hommes de la famille ne remarquaient rien. Puis un beau jour, un dimanche pour être exacte, j'ai décidé de prendre Maria à part pour lui parler de son mari violent. Tout le monde devait venir, même Paulo et sa famille. Mais lorsqu'on a ouvert la porte, s'attendant à ouvrir à Maria, Augusto et aux enfants, nous avons simplement ouvert à Augusto...
Josia pleurait à présent. Des larmes lourdes et chaudes, retenues bien trop longtemps à l'intérieur d'elle-même. Des larmes qui délivraient une immense souffrance. Elle fit une pause puis reprit:
- ...à Augusto, les mains ensanglantées. Il nous a fait signe de le suivre puis il nous a emmenés chez lui. Là...
Cette fois les sanglots se rajoutèrent aux pleurs. Cette femme souffrait. Elle souffrait tellement que les larmes commencèrent à couler à leur tour sur mes joues.
- Vous n'êtes pas obligée de continuer, si cela vous fait trop mal de vous rappeler de tout ça, Josia, murmurai-je en posant ma main sur sa peau risée.
- Non... non, ça me fait du bien. C'est la première fois que je raconte cette histoire à quelqu'un. Nous sommes donc entrés chez eux et le corps de ma pauvre petite était allongé sur le sol, une multitude de blessures sur la peau et des traces de doigts bleutées sur le cou. Laura était accroupie, en pleurs, avec son frère de dix-sept ans, effondré dans ses bras. Augusto était paniqué. Il l'aimait vraiment. Il nous a demandé d'appeler la police qui est arrivée en une dizaine de minutes. Pendant qu'ils arrêtaient leur père, Laura était allée s'enfermer dans sa chambre et son frère avait disparu. On ne l'a jamais revu. Angelo, qui possédait une très bonne relation avec Augusto, était sous le choc. Mais ce qui l'a fait fuire, c'est lorsqu'il a appris que Paulo savait que son beau-frère et ami frappait sa soeur et n'avait rien dit. Le fait que moi je le sache ne l'avait pas dérangé : j'étais une femme, je n'aurais pas pu intervenir et je ne pouvais pas lui en parler à cause de la promesse que j'avais faite à Laura. Angelo est donc parti. Il a quitté la ville sans doute, le pays peut être, et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Il ne m'a pas quittée, nous sommes encore mariés, mais il a disparu. Augusto est sûrement encore en prison et a été suivi par un psychologue. Laura, quant à elle, est partie vivre aux États-Unis pour recommencer sa vie. Paulo, lui, a fait deux ans de prison pour complicité de meurtre. Sa femme l'a quitté et est partie avec ses enfants. Ma famille a explosé. Ma famille si parfaite... Je me suis retrouvée seule et ma boulangerie a fait faillite. J'ai perdu peu à peu de l'argent mais je ne voulais le dire à personne. La honte me coussumait. J'ai donc déménagé en France pour tout recommencer. Sauf que pour ce voyage, j'ai utilisé mes derniers centimes. Je n'avais donc plus d'argent. Plus du tout. Maintenant je dors dans la rue depuis déjà un an. Et j'essaye d'oublier. De tout oublier.