Faire les choses jusqu'au bout

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Point de vue d'Igor

Je marchais sur l'herbe gelée qui craquait sous mes pieds. Le froid peinant à m'atteindre, j'étais tout à mon aise. J'ai pu manger deux hommes pour le prix d'un, et je m'étais arrangé pour qu'ils meurent avant que mon venin ne pénètre leurs organes vitaux... Empêchant ainsi leur transformation.

Mes doigts étaient serrés sur un sac de toile. Dedans, encore tiède, la tête de ma cible pour preuve d'exécution de mon contrat à mon employeur. L'étanchéité de mon sac permet à ce que le sang ne coule pas sur la neige.

Mon regard fixait l'horizon. Le matin ne se levait toujours pas et c'était très bien ainsi. Je ne voulais rien voir du monde. Juste rentrer à mon repère perdu.

Je vis une route, et la longeais. Une voiture venant de derrière moi m'éclaira de ses phares. Je regardais alors et m'aperçut qu'il s'agissait seulement d'un fermier : « Vous êtes perdu mon brave ? fit celui-ci en baissant un minimum sa vitre. »

Je me penchais pour scruter l'intérieur du véhicule. Aucune arme, personne en passager... Je lui demandais vers où il allait et il me répondit : « A Petrovska, c'est un village d'éleveurs à cinquante bornes... Je vous y emmène ?

- Volontiers. »

L'homme me regarda attentivement, puis vit mon sac avec une curiosité affichée mais ne posa aucune question puis une fois que je fus installé, le sac à mes pieds, il commença sa route.

« Vous me paraissez venir de loin, je me trompe ? fit mon chauffeur. »

J'haussais les épaules, ne sachant que dire.

Le reste de la route se fit en silence. L'habitacle était secoué par les cahots de la route et je me surpris alors à rêvasser.

Je me revoyais dans le noir. Je venais de mordre Alexi, son sang m'abreuve et sa force me revient. Mais il y a aussi un détail que je n'ai pas oublié. Cette femme, la rousse, celle que j'ai vu sur le quai de gare. Et si je tentais de m'en approcher ? Juste pour voir... Pourquoi la photo m'était-elle tombée sous les yeux, et que pouvait elle bien faire dans la main de cet homme, dans le noir ? Alors qu'il ne pouvait pas la voir ?

Un instinct, celui que je combattais au quotidien, m'envahissait. Lorsque je rouvris les yeux, j'avais son visage en tête... Je regrettais même de ne pas avoir pris la photo, mais le professionnalisme m'oblige à ne pas amasser les trophées.

La forme sombre d'une petite ville garnie de pâture se dessina dans la semi pénombre. Les bâtiments, surtout des granges garnies de pâtures, étaient en bois assez miteux et peu isolants, comme reste de l'ancien URSS de Staline. Au milieu de ces exploitations, une grande maison en ruine, vestige du gérant de cet ancien Kolkhoze. Le vent s'était soudainement levé à son approche.

« C'est ici qu'on s'arrête, mon gars. Dites, qu'allez-vous faire ici ? Vous n'êtes pas du coin à ce que je vois... ».

Je n'avais pas remarqué qu'on s'était arrêté. Je regardais autour de nous. Il n'y avait pas un lampadaire mais j'y voyais parfaitement.

Je le regardais. Celui-ci avait les mains encore sur le volant et me fixait d'un air las.

« Je n'en sais rien, répondis-je, j'ai quelqu'un à aller retrouver non loin. Merci de m'avoir dépanné, ça m'évite de la marche jusqu'à Gorod-Prizrak. »

Je vis une figure d'épouvante sur son visage.

« Vous dites bien... Prizrak, la ville morte ? »

J'acquiesçais vaguement. Il devint alors aussi pâle que moi mais guère pour les mêmes raisons.

« Je ne vous ais pas vu, monsieur, fit-il. »

Black TeethOù les histoires vivent. Découvrez maintenant