Chapitre 6

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Marc descendait de sa G4 lorsqu'il fut projeté au sol, similairement à la première fois, quelques heures plus tôt.

A peine avait-il heurté le bitume qu'il se réveilla de nouveau au milieu de nulle part, dans l'herbe fraîche et en compagnie du Grand Chêne... et de son père ! Son instinct lui certifiait qu'il s'agissait de lui, et même s'il était convaincu que ce n'était que de simples rêves, il aurait voulu qu'ils durent des années entières. Pour la première fois depuis qu'il était dans cet autre monde, - lui semblait-il - il consentit à bouger. Il s'assit, regarda les nuages se déplacer au grè du vent dans le ciel d'un bleu étincelant, et admira tout simplement la beauté de ce paysage où la nature reprenait des droits oubliés par le monde depuis trop longtemps : la végétation s' étendait à perte de vue comme une flaque verte qui s' étalait jusque l'infinité. Puis il marcha, ne sachant vers où, son jean verdissant au contact de l'herbe fraiche encore humide de la rosée du matin. Il huma avec délice les parfums de mille fleurs qui lui étaient jusqu'alors inconnus. Quelques lapins passaient de temps à autre, dans une liberté si simple et si belle, et des multitudes d'oiseaux chantaient gaiement dans les branches de l'arbre qui le surplombait.

Marc ne s'était que rarement senti aussi heureux, cet échange silencieux avec la nature était pour lui un ressourcement aussi agréable que nouveau. Il s'aperçut soudain qu'il était arrivé à quelques mètres de son père.

Il s'était effectivement inconsciemment dirigé vers lui, se laissant aller à la force attractive que l'homme exerçait sur lui.

Il ouvrit la bouche pour lui parler, mais aucun son n'en sortit. Il bascula brusquement en arrière, et ferma les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il était entouré d'arbres. Et devant lui, majestueux, puissant, comme maître des lieux, se dressait le Grand Chêne.

Marc ne voyait plus le monde autour ; les autres arbres, les feuilles mortes aux couleurs d'automne voletant dans le vent, les buissons verts touffus, les ronces aux épines menaçantes, rien n'avait plus pour lui aucune signification, aucune importance, car à présent, seul comptait le Grand Chêne, avec ses branches resplendissantes et ses feuilles vert mousse.

Il accola son oreille à l'écorce rugueuse de l'arbre, et entendit comme... une note soutenue.

Un la, détermina le pianiste, un la parfait. Il l'écouta longtemps, ne pouvant se lasser de ce merveilleux son qui paraissait sortir du cœur du tronc. Une bouffée d'intense chaleur le sortit soudain de son état de torpeur. Quand il se retourna, il vit que des tas de bois mort étaient en feu. Les flammes se propageaient, et les violentes bourrasques de vent n'arrangeaient rien. Il ne prit pas le temps de réfléchir et détala, poursuivi par le feu qui gagnait du terrain et se ruait vers lui à toute vitesse, comme s'il voulait l'engloutir. Les flammes montaient dans les plus hautes branches, l'herbe était enflammée et des arbres incandescents tombaient sur son chemin. Ses chaussures étaient en lambeaux, ses chevilles brûlées et écorchées de toutes parts par les ronces. Sa gorge asséchée suppliait du liquide, ses poumons étaient en feu et son tee-shirt maculé de sang. Mais il devait continuer, courir pour sauver sa vie. Il courut ainsi fort longtemps, trop longtemps, coincé dans cette course poursuite. Alors qu'il perdait espoir, il aperçut au loin un cours d'eau. Sa dernière chance. Il courut plus vite que le lièvre, tellement désespéré qu'il lui semblait que l'eau, sa survie, sa chance, son espoir, le narguait d'un recul marqué. Mais il continua, contraint de galoper toujours plus vite par les flammes le poursuivant. Et il y arriva. Dans un dernier souffle, un dernier effort, il bondit au-dessus du ruisseau. Puis il s'évanouit, enfin hors d'atteinte du feu meurtrier.

Lorsqu'il se réveilla, il était dans un refuge entièrement végétal. C'était un buisson de houx qui poussait de telle façon qu'on pouvait se tenir debout à l'intérieur : il était creux, poussait autour d'un arbre qui le maintenait stable, et faisait environ trois mètres de diamètre et deux de hauteur.

A côté de lui veillait son père. Voyant qu'il était réveillé, il répondit à la question silencieuse qu'il avait devinée :

« Je t'ai trouvé hier inconscient près du cours d'eau. Je t'ai ramené ici, j'ai pansé tes blessures comme j'ai pu et j'ai veillé sur toi toute la nuit.

Et ... je sais que c'est sûrement la dernière chose que tu aurais voulu, mais j'ai allumé un feu, car les nuits sont froides en forêt - tu peux être content que, plus jeune, j'aie été scout. Ne t'inquiète pas, les pierres qui les entourent retiennent les flammes, elles ne te feront pas de mal, dit- il en esquissant un sourire, le regard rivé au sol. Tu as eu de la chance, je veux dire, de t'en être tiré », reprit-il.

En remarquant soudain le feu, Marc sursauta. Mais en entendant le rythme régulier d'un courant, il détermina qu'il devait être près du ruisseau, ce qui le rassura quelque peu.

« Merci, vous savez, de m'avoir sauvé la vie... dit-il,

- Oh, c'est rien. Je ne voulais pas que tu meures maintenant, ça aurait été tellement bête de te laisser mourir alors que tu avais survécu à une forêt incendiée !

Tu as dû courir quatre bons kilomètres dans les flammes, tu mérites la gloire d'un héros ! Mais de ton vivant, c'était préférable, je trouve, personnellement.

-Je trouve aussi... C'est vous qui avez construit ça ? » demanda Marc en désignant la cabane végétale, changeant de sujet.

En repensant au moment où il avait trouvé le refuge et vu le jeune homme sortir de la forêt et s'évanouir, Peter frissonna ; cela lui rappelait des souvenirs plutôt malheureux.

« Non, je l'ai trouvée quand je suis venu t'aider. C'est pas mal, non ?

- Oui, et c'est très pratique.

- Je suis d'accord, même si j'aime bien construire des cabanes. Mais dis-moi mon bonhomme, comment tu t'appelles ?

- Marc. Et vous ? »

Peter sourit ; s'il avait eu un fils, c'est ainsi qu'il l'aurait appelé.

« Joli nom. Moi, c'est Peter. Mais arrête de me vouvoyer, on a pratiquement le même âge.

-Si vous... tu veux, Peter. »

Soudain, ils tombèrent en avant et tout disparut.

Lorsqu'ils se réveillèrent à leurs domiciles respectifs, père et fils avaient les chevilles écorchées et les chaussures pleines de terre.

L'aube de la destinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant