Chapitre 24

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Il n'y avait plus personne dans la chambre de sa mère lorsque Marc réapparut.
"Pendant que j'y suis, autant continuer sur la voie des excuses..." se dit-il en se dirigeant vers le grammscenceur. Il tapa du pied, choisit la suite de Jane sur la liste des étages et entra son nom. Il retint son souffle, avant que l'accès ne lui soit autorisé.
Il faisait noir dans l'appartement.

"Je suis là", fit une voix depuis la chambre.

Marc se dirigea à tâtons vers elle.

"Tout va bien ?

- Oui oui", assura Jane.

Il la sentit s'asseoir dans son lit, puis allumer une lampe de chevet.

"D'habitude, je n'aime pas quand il ne fait pas clair, s'excusa-t-elle en se frottant les yeux, mais je t'avoue qu'au moment présent ma rétine a du mal à s'habituer."

Ses longs cheveux platines étaient éparpillés sur ses épaules nues, et une des bretelles de sa chemise de nuit en soie bleu marine tombait nonchalamment. Des ombres se dessinaient sur ses omoplates, tandis que le gris de ses yeux semblait briller dans l'obscurité. Elle se mit à genoux et tapota le matelas, juste à côté d'elle.

"Qu'est-ce qui t'amène ?

- Désolé, je t'ai réveillée ?" constata-t-il. Devant le sourire de son interlocutrice, il répondit à sa question. "Je voulais m'excuser, expliqua-t-il en s'asseyant. J'ai vraiment été...

- C'est pas vrai, qu'est ce que vous avez tous les deux, avec la culpabilité ?

- Quoi ?

- On croirait entendre ta mère ! rit Jane

- Peter m'a dit la même chose il y a... Une heure ?

- Peter ? Tu lui as parlé ? Et puis, c'est quoi cette odeur ?

- On a disparu, si tu vois ce que je veux dire. Et un gentil dragon m'a craché dessus... ajouta-t-il plus bas.

- Encore ? Pourquoi Violette ne m'a rien dit ?

- La connaissant, elle ne voulait pas te réveiller, supposa Marc en haussant un sourcil

- Vous pourriez penser un peu à vous, parfois !"

Le regard de Marc s'assombrit.

"Elle, oui, moi... Tu te rends compte ? Comme j'ai parlé d'elle ? Et pourquoi ? Parce qu'elle voulait me protéger ?

- C'est bien ce que j'essayais de te faire comprendre... soupira-t-elle. Mais tu étais en état de choc, c'est tout à fait normal. Et comme je suis certaine que tu t'es déjà empressé d'aller te faire pardonner, je ne vois pas où est le problème.

- Tu as encore deviné ?

- Le portrait craché de Violette, vraiment, répéta-t-elle en souriant. Tu devrais me plaire."

Marc espéra que la pénombre masquerait ses joues écarlates.

"Alors... Je suis pardonné ?

- Bien sûr que tu l'es.

- Merci."

Il glissa doucement sa main dans celle de Jane. Elle eut un frisson, mais ne recula pas, cette fois ci. Elle se rapprocha peu à peu de lui, jusqu'à ce que leurs épaules se touchent ; Marc pouvait maintenant sentir la chaleur de son souffle sur son bras.

"Suzanne Flight" annonça soudain un gramms.

"Autoriser.", fit Jane en sautant du lit. Avant de franchir la porte, elle se retourna vers Marc.

"Tu peux aller dormir maintenant si tu veux... Elle vient sûrement pour la substance désintégrante dont elle m'a parlé, je doute que ça ne t'intéresse."

Il hocha la tête sans réfléchir et retourna machinalement vers sa chambre.

"Je n'ai décidément pas de chance avec ces autorisations d'entrée..." se dit-il en tombant comme une masse dans son lit.

En fermant les yeux, il remarqua que son tee-shirt avait gardé une douce odeur de coquelicot. Sérénité ou simple fatigue, Marc s'endormit très vite cette nuit là.

*

Aux premières lueurs de l'aube, Peter se leva. Il prit bien soin de ne pas réveiller Violette, et lui carressa tendrement la joue avant de refermer le baldaquin. Il avait une idée en tête. L'homme demanda au grammscenceur de le mener à l'observatoire ; il n'avait pas pu bien voir pendant la visite, et ce dôme de verre au sommet du bâtiment l'intriguait. Ses pas résonnèrent tandis qu'il avançait dans la demi-sphère. C'était incroyable, absolument incroyable. Il avait le monde devant lui. Une incroyable impression de voler. Un incroyable sentiment de liberté. Au dessus de lui, le ciel. Autour de lui, le ciel. Les nuages s'embrasaient sous les flammes rose et orange d'un soleil ardent. Et en contrebas, New York s'éveillait. Ces fourmis qui se pressaient déjà dans les rues étaient des hommes, des femmes. Il y avait cet homme d'affaires qui partait déjà travailler, et ce fêtard qui rentrait chez lui. Cette boulangère qui préparait son pain et cette joggeuse matinale. Avec du recul, ils n'étaient plus si différents.

"C'est beau, n'est-ce pas ?"

Peter se retourna. Appuyé contre la paroi, son père lui souriait.

"Oui... C'est magnifique.

- Mais la beauté n'est-elle pas qu'une invention de l'homme ? Une image toute faite créée pour nous rassurer ?" demanda-t-il en se rapprochant de son fils.

- D'où est-ce que tu sors ces questions ? plaisanta Peter.

- C'est mon métier, se justifia Soan. Et ne fait pas semblant, je vois bien dans ton regard que tu te poses les mêmes."

Tous deux plongèrent les yeux au loin, et le silence prit place quelques secondes.

"Tu as raison, fit soudain Peter, sans détacher son regard de la ville. Un lever de soleil, c'est beau. Un... vers de terre..., c'est laid. Parce que la société l'a décidé. La définition de la beauté a quelques subtilités selon la perception, mais nous avons tous plus ou moins la même, globalement.

- C'est exactement ce que je voulais te faire dire. Mais cette perception n'est pas la seule chose que la société nous impose. En vérité, il n'est rien dont elle ne profite pour nous classer, nous ranger comme on ordonne ses vêtements dans des tiroirs. Tu es marié donc tu as une vie tranquille. Tu as une religion donc tu es mis en cage. Tu t'habilles de telle ou telle façon donc tu es riche ou pauvre. Plus globalement, tu es différent donc tu es inquiétant.

- C'est vrai..., la différence fait souvent peur.

- Oui. Être différent, dans notre monde, revient souvent à être seul. Et la solitude est l'un des plus grands malheurs de l'être humain.

- Donc peu à peu, nous devenons tous la même personne... déduisit Peter. Car dans le cas contraire, on devient un vêtement sale jeté sur le sol. Alors les gens préfèrent être rangés dans un tiroir.

- C'est ça."

Soan se tourna vers son fils.

"Peter, je veux que tu comprennes une chose. Tu n'es pas simplement un enfant de la société. Avant tout, tu es le mien."

L'aube de la destinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant