Chapitre 3

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Marc cligna des yeux, pour la 15e fois au moins. Il se pinça. Mais les images au-dessus de son gramms restaient les mêmes. « Peter Flight réveillé au bout de 100 ans d'inconscience.», affichait l'hologramme. Flight était le nom de Marc. Le nom de son père. Mort peu avant sa naissance. Il y avait un siècle de cela.

*

Violette, qui avait anticipé la situation, s'était téléportée quelques heures plus tard en Cornouailles, dans la petite villa de bord de mer de son fils. L'homme avait beau être vieux de bientôt cent ans, elle le voyait toujours comme le garçon timide et naïf qu'elle avait élevé. Il était grand maintenant, bien plus grand qu'elle, mais resterait toujours ce bébé adorable qu'elle avait tenu dans ses bras et nourri de son sein. Il avait hérité des traits de son père ainsi que de sa chevelure noire, bien qu'elle soit lisse et non bouclée. Ses yeux d'un bleu pâle étaient fixés sur elle, lui lançant un regard déstabilisant. Marc commença à tapoter sa jambe du bout des doigts, signe de stress chez lui.

«  Qui était cet homme, là, du flash info ? M'as-tu vraiment tout dit sur mon père ? l'avait-il interrogée, perdu.

- Ton oncle, du côté de ton père, ils étaient jumeaux" lui avait répondu Violette sereinement -du moins en apparence.

Mais dans son esprit régnait une culpabilité sans fin :

« Tu fais le bon choix, se disait-elle. Il serait cruel de lui dire qu'il a un père, alors qu'il lui est impossible de le voir. Oui, il est mieux qu'il ne sache rien... »
Elle essayait de se convaincre qu'elle prenait la bonne décision,  en vain. Sa confiance en elle, comme souvent, lui faisait défaut.

"Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? ", demanda Marc, perplexe.

"Oh, tu sais, tu ne l'as jamais connu, alors... ça ne t'aurait fait que du mal.", répondit-elle.

Elle tacha d'éviter le regard de son fils, et ses pieds semblèrent soudain très intéressants.

" Ils disent qu'il était à l'hôpital St-George, c'est juste en face de chez toi ! Nous aurions pu aller le voir quelquefois au moins !" s'emporta Marc

Violette répondit calmement ; seule la tristesse pointait dans sa voix.
"Qu'est-ce que ça aurait pu nous apporter ? Tu ne l'as jamais connu, mais, s'il avait perdu la vie, tu aurais été en deuil, et une mère ne veut pas voir son fils pleurer. Quant à moi, cela n'aurait fait qu'accentuer la tristesse qui s'est emparée de moi à la mort de ton père."

Violette était une bien piètre menteuse, mais son fils était trop désorienté pour remarquer quoi que ce soit.

"Puis-je le voir, maintenant qu'il est réveillé ?" demanda celui-ci avec fièvre

« Bravo Violette, tout ce que tu ne voulais pas... Félicitations, tu viens de révéler absolument tout ce que tu devais garder secret ! La seule différence est que tu lui as affirmé qu'il s'agissait d'un oncle imaginaire et non de son père. Comme si tout n'était pas encore assez compliqué ! Maintenant, que vas-tu dire pour te sortir de cette situation ? Quoi ? » se réprimanda-t-elle intérieurement.

" Non,  lâcha-t-elle simplement, c'est impossible".

*

Seul chez lui, Peter mangeait comme toute personne normale. Enfin, presque normale ; l'homme avait pour habitude de manger du cake à la carotte et au poivre blanc et de boire de la soupe le matin, en guise de petit déjeuner.  Le tout était préparé avec amour par sa femme la veille au soir, pendant que lui faisait la vaisselle. Il sourit. Sa vie reprenait son cour tranquille, et il se rendait soudain compte de combien il était heureux. Il se demandait quand les médecins l'autoriseraient à sortir de sa demeure, mais n'en éprouvait pas un réel besoin ; le réconfort d'un chez soi et un amour réciproque valaient selon lui toutes les libertés dont un homme puisse jamais rêver. Il passa une main carrée dans ses boucles noir d'ébène. Il reprenait goût aux joies simples de la vie et, lui le grand enfant qui aimait rire et s'amuser, avait mûri et portait soudain un regard plus poussé sur des faits négligés auparavant. Il attrapait au vol les petites joies quotidiennes : des choses insignifiantes, mais qui pourtant illuminent une vie. Ce sont les plaisirs éphémères qui éclairent notre visage l'espace d'un instant, sans que l'on y prête attention, qui nous mènent silencieusement vers notre voie. Il percevait maintenant la complicité dans un sourire, la nostalgie dans un regard, la tendresse dans un geste. Il ne faisait plus que voir, il observait. Un détail, parfois, une étincelle au coin de l'oeil, un rire, change notre vision du monde.
"Carpe diem", cueille le jour.
C'était là un proverbe qui lui plaisait bien. Cela deviendrait maintenant son maître mot ; Peter voulait profiter pleinement de la vie tant qu'elle lui était offerte, vivre chaque instant comme le dernier.
Il dressa la tête en entendant un grincement. Violette qui rentrait, sans doutes.


"AH !" Le cri de Peter résonna dans toute la maison. "Qui a éteint la lumière ? Hmm... Laisse moi réfléchir, agresseur... Je parierais sur une rouquine sans foi ni loi !


- La plus géniale des rouquines, tu veux dire !" s'exclama Violette en retirant ses doigts graciles des paupières de son époux.


Comme seule réponse, il l'empoigna par la taille et, se levant, la fit tournoyer autour de lui.
Ses "Arrête !" étaient entrecoupés de rires joyeux et cristallins, et Peter ne céda pas à ses supplications. Ils finirent par tomber sur le canapé, hilares comme deux enfants, des enfants heureux. Peter avait mûrit et la maturité acquise, loin de faire de lui un ennuyeux philosophe, élargissait son sourire et lui indiquait le bonheur. Et il était juste devant lui.

L'aube de la destinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant