J'attends toujours que mes parents soient endormis pour me faufiler par la porte de la cuisine, qui donne sur notre immense jardin. J'enjambe alors la haie qui me sépare de la rue de mon tout petit village et entreprends de monter jusqu'au sommet de la colline avoisinante.
Je choisis toujours mes soirs. Il faut qu'il fasse bon, que le ciel soit éclairé. Il faut que je sois prêt. Quand j'arrive à mon endroit, je le retrouve généralement tel que je l'ai laissé : un coussin, un livre, un paquet de cigarettes sous un rocher et une vue magistrale sur la petite bourgade d'où je viens.
Ce lieu, c'est le mien. Je n'y ai jamais emmené personne.
Je m'assieds, et observe. La lumière de l'église est plus forte que celles des maisons, mais rien n'équivaut au spectacle que la nature offre dans le ciel. Je ne crois pas en Dieu mais, si j'y croyais, je suis sûr qu'il serait un artiste, car seul un homme aimant profondément l'art peut produire quelque chose d'aussi beau.
Je repère la Grande Ourse, puis la voie lactée, puis la constellation du Capricorne. Tout ces témoins de ma petitesse. Tout ces témoins de la grandeur de la vie. Parfois, en été, il y a des étoiles filantes. C'est mes préférées.
On dit que toutes les étoiles sont déjà mortes dans le ciel quand on les observe, mais à mon avis, c'est plutôt les Hommes qui le sont. Dans la rue, personne ne croit plus à la magie, personne ne fait plus attention à l'art, personne ne comprends la différence. On manifeste contre les migrants, contre le mariage homosexuel. On rit à des blagues salaces mais on ne comprends pas le quart d'un débat politique. On préfère poster un selfie sur un réseau social que de chercher à s'améliorer spirituellement. Oui, je pense que c'est les Hommes qui sont morts et que, ne comprenant pas la beauté des étoiles, ils ont besoin de se persuader que se sont elles qui ont trépassées. Car cela les rends vulnérables. Or, rien ne l'est. Sauf nous tous.
J'observe les maisons, l'auberge de la vieille Marianne, le petit étang où on jouait quand j'étais encore en primaire. J'ai l'impression que cet endroit est tout petit par rapport à la grandeur de mes rêves. Que l'on ne peut me comprendre.
Si je viens ici c'est pour les étoiles, c'est pour la vie mais c'est aussi pour moi-même, car ce contraste de beauté me renvoie à ma propre identité. Qui suis-je ? Pourquoi est ce que je me sens si différent de ces hommes et de ces femmes, mais si proches des constellations et de la nature ? J'ai l'impression d'être si peu à ma place.
Peut-être qu'il faut que je parte, qu'il faut que je cours vers un autre horizon. J'y ai déjà pensé, mais mes notes ne me le permettront pas. Pas plus que mes professeurs, qui ne veulent pas m'écouter puisque je ne corresponds pas à leur critères. A qui me confier alors ? Mes parents sont adorables mais bien trop peu conscient de cette guerre intérieure à laquelle je fais face. Alors je réprime mes rêves de grande ville et de découvertes.
Je prends mon livre et me laisse bercer par les étoiles. Je laisse danser le vent autour de moi et les feuilles des arbres crier leur indépendance. Je laisse le monde avoir son empreinte sur moi. Je glisse à travers les lignes pour éviter d'avoir à glisser entre mes vices et me laisse aller à la beauté de ce moment privilégié.
On peut voyager avec la pensée et c'est ce que je fais durant ces belles soirées. L'espace d'un instant je quitte mon village et visite toutes les mégapoles, comprends toutes les cultures, m'éprends de tous les horizons. Je suis amoureux de villes que je n'ai jamais visité et de personnes que je n'ai jamais rencontré.
Les adultes diront que l'imagination ne mène à rien. Je pense au contraire qu'elle permet tout. Ne cessez jamais de rêver.
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Morceaux d'adolescence
Short StoryRecueil de (très, très) courtes nouvelles sur l'amour, la jeunesse, l'art, les doutes et l'amitié.