Paumée

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J'allume un joint derrière le lycée, par habitude. C'est Petro qui a commencé à me passer de l'herbe, et mes « je ne toucherai jamais à ça » se sont transformés en une consommation quotidienne. J'aimerais dire que je m'en fiche, j'aimerais dire que tout ça n'a aucune importance. J'aimerais y croire. Je ne parle même plus à Petro aujourd'hui, et il ne fume même plus.

Etre une adolescente dans un lycée français n'a rien de simple. Bien-sûr, je suis privilégiée par rapport à des centaines de milliers d'autres filles de mon âge qui n'ont même pas accès à une éducation. Je suis nourrie, logée, ait des habits de marque, et tout ce qui s'en suit. Mais cela ne rends en rien légitime le fait que l'on puisse me dire que je n'ai pas de problème. Les bouffées toxiques s'élèvent dans les airs tandis que je fais attention, pour éviter qu'un surveillant me trouve. Généralement, ils ne passent pas, et puis même, je suis connue pour être une terminale solitaire et problématique, mais tout de même.

Quand on me voit, on se dit, « quelle pauvre fille » ou « mais, c'est fait exprès son regard méchant ? », et on vient me parler par pitié ou par curiosité. Puis on s'éloigne. Mieux vaut ne pas toucher de trop près ce qui ne corresponds à la normalité. Mes Dr. Martens et bas résilles n'attirent pas les talons et robe rouge, c'est clair. Je n'ai pas 200 j'aimes sur ma photo de profil Facebook et ne suis pas dans tous les clubs du lycée.

Il faut quand même préciser qu'en seconde, j'étais populaire. Moi aussi j'allais en soirée, je buvais, couchais avec les garçons populaires (ces connards qui se moquent de tout le monde, insultent tout ce qui bouge et pensent être les rois du monde) et il m'arrivait même d'organiser des soirées chez moi. Je mangeais des glaces sur la plage avec mes copines, les derniers hits me faisaient voyager et on s'intéressait à mes envies de devenir écrivain et de partir vivre à Paris. Je pensais être heureuse. Mais quand ma soeur est morte durant l'été, ma perception a changé.

Personne n'est venu. Ceux qui m'écrivaient des messages dignes des plus beaux recueils de Victor Hugo (dans sa période dépressive) ne m'ont même pas envoyé un mot pour savoir comment j'allais. Ces garçons pour qui je passais mes soirées à attendre leurs messages, à espérer qu'ils me trouvent une once d'intérêt, m'ont demandé « d'arrêter de jouer la victime ». Dans le lycée, on me souhaitait des condoléances alors que ma maman se réfugiait dans les médicaments et mon papa dans le travail. Pas une seule personne n'a été là, ce qui m'a fait comprendre à quel point l'amitié se mesure en mauvais moments passés ensemble, et non en bons.

J'ai coupé les ponts, pour ne construire que des murs, ai écris et dessiné. J'ai transformé ma peine en art, et mes pleurs sont bientôt devenus des lignes d'encre le long de mes carnets. J'ai teint mes cheveux, arrêté de me maquiller, et j'ai passé deux années à questionner la conformité. Ah, les filles aimaient bien la pop maintenant ? Et bien moi, j'ai toujours aimé le métal, alors rien à faire. Tu n'aimes pas mon dessin ? Je t'ai demandé ton avis ? C'est gentil de me souhaiter bon week-end, mais ne t'en fais, que tu le fasses ou pas ne changera rien à ma vie.

On remarque vite à quel point tout est faux. On comprends vite pourquoi tout est éphémère.

Hier, j'ai reçu un courrier. Mon recueil de nouvelles va être publié.

La fumée s'élève haut, dépasse le bâtiment du lycée. Dépasse les nuages et les rêves oubliés.

Ma grande soeur m'a un jour dit qu'elle croyait en moi et que quoiqu'il arrive, j'irai loin. Ne laisse jamais quiconque ou n'importe quelle situation t'arrêter. Pas même la solitude.

Quand vous passerez près de cette fille paumée la prochaine fois, questionnez vous sur l'hypocrisie de votre réalité, et demandez vous alors qui de vous ou elle est le plus perdu.

Morceaux d'adolescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant