Chapitre 07 - Piquer une tête

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Je sors de la bagnole sans un regard pour la muse encore à moitié nue.

J'ai connu plus romantique qu'une partie de jambes en l'air dans une autolib'. Heureusement que je ne connais pas son prénom, je me sens libre de m'évader ni vu, ni connu.

Vingt trois heures vingt trois, il n'y a que mes pas pressés qui résonnent dans ce parking désert et mal éclairé. Et je ressens maintenant ce besoin de m'isoler.

J'ai toujours été quelqu'un de solitaire, la compagnie me plait mais à terme, m'oppresse ; je suis en constant besoin d'air.

Et pourtant ce dernier se fait frais et gèle mon cou découvert, mais il m'en faut plus pour me faire renoncer à mes ballades nocturnes. Cependant j'ai beau vouloir zigzaguer entres les petites rues en espérant trouver un petit havre de paix inexploré, je finis toujours par retrouver mon bon vieux canal.

Long et calme, il reflète la pollution lumineuse des lampadaires qui m'empêchent de voir le ciel étoilé. Il est d'un bleu nuit apaisant, dommage qu'ii lui manque ses grains de beauté.

Je fourre les mains dans la poche de mon hoodie pour en sortir mon paquet de clopes. La cigarette post-coïtal, c'est limite vital.

Un, deux, trois je tire. Je plonge dans mes pensées qui m'inspirent plus un néant sombre et inévitable. Je me rends compte à cet instant que même le sexe n'est pas assez efficace pour m'écarter de mon mal être.

Peut-être que j'aurais dû la baiser plus longtemps...

Impossible, cette pétasse avait la gestuelle pour me rendre fou en un rien de temps, la passion pour la délectation n'est décidemment qu'un mythe qui n'égale pas la fellation.

Je tire encore, plus longtemps et cette fois je plonge dans une profonde dépression. Je ne sais plus qui je suis ni où je vais, je ne suis plus sûr de rien. Je ressens les effets d'un amphét' alors que je suis aussi sobre que la nuit.

J'aime cette deuxième partie de la journée mais son influence sur mon être m'incommode. Je suis une autre personne la nuit, peut-être plus léger et épanoui mais aussi plus sensible et meurtri.

Je tire, mais ce n'est plus moi qui plonge, c'est la personne face à moi qui se jette du pont pour explorer les cadavres de ce point d'eau poisseux.

Je me lève spontanément.

Je crois que le jazzy du soir se prend aussi pour Clark Kent, à ses heures perdues. J'accours jusqu'au pont et inspecte les alentours pour voir si la personne remonte à la surface, ce qu'elle fait quelques secondes plus tard.

- Mais t'es ouf ou quoi, toi ?

La personne se tourne vers moi, je devine à la longueur de ses veuch que c'est une femme.

Il n'y a que les femmes pour faire des choses aussi stupides.

Elle s'approche doucement du bord et éclate de rire.

- Sors de là, j'appelle les pompiers.

- Pour quoi faire ? Je vais bien.

- Il caille, et l'eau doit être gelée, tu peux te faire du mal.

- Du calme, c'était un pari.

Elle s'approche du bord et je lui tends la main. Et cette fois-ci il me faut un rien de temps pour la reconnaître.

- Encore toi ?

Elle s'agrippe à moi en silence puis essore ses cheveux, suffocante. Ses dents claquent et ses guibolles tremblent comme si elle avait le parkinson.

- Qu'est-ce que tu fous là ? Demande-t-elle.

- Toi qu'est-ce que tu fous là ? T'es avec qui, tu fais quoi ici ?

- J'étais avec des potes, ils sont là, regardes.

Elle leur fait un signe de main qui lui rendent mais ne bougent pas de leur place.

- Vas faire tes devoirs au lieu de jouer les fofolles à une heure aussi tardive. Ils savent ce que tu fais tes géniteurs ?

- Ils savent même pas que j'existe, je crois.

Elle s'esclaffe et renifle fortement.

Je me sens obligé de lui céder mon blouson.

- Merci.

- Viens chez moi, c'est fini le tapinage.

Je commence à partir, mais je vois qu'elle ne me suit pas.

- Pourquoi je viendrai ? J'te connais pas.

- Moi non plus j'te connais pas, et pourtant je te fais assez confiance pour te filer mon blouson avec ma thune et mes clés.

Elle jette un regard par dessus son épaule mais sa bande de potes n'ont pas l'air si réactifs.

- T'attends leur approbation ? Je demande.

- J'sais pas...

Moi non plus j'ignore ce qu'il me prend d'emmener cette gamine chez moi,

Mais c'est plus fort que moi, le Clark Kent refuse de la laisser là.

TroubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant