Chapitre 26 - Saut périlleux

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Doum's est un gros porc.

Mais ce n'est une surprise pour personne.

Je l'observe du coin de l'œil aller et venir dans la pièce à vivre et se goinfrer de chips. Tandis que Jimmy enclenche le son pour lequel nous patientons depuis quelques minutes.

Je suis presque ému quand mon refrain retentit dans le petit studio. Les sept personnes présentes fixent un point imaginaire et semblent décortiquer mes vers pour y comprendre le sens.

Ça me plait.

L'album n'est pas encore prêt, reste encore à l'illustrer et à choisir minutieusement l'ordre des sons. Mais j'ai ressenti le besoin de le faire entendre, de me faire entendre.

Afin d'apaiser ma plaie.

L'hématome : Céleste. Qui ne me donne pas de nouvelles depuis près d'une semaine et demie... Elle me fait me remettre en question sur des éventuels faits qui auraient pu l'offenser, mais je n'ai décidément rien commis.

Je l'ai appelé quelques fois depuis samedi, mais je ne préfère pas être insistant. Qui sait, elle a peut-être besoin de réfléchir, moi-même j'ignore la nature de notre relation pour l'instant.

T'as de la jugeote alors sers-t'en.

Mais j'ai peur avec le temps.
Mes actes sont réfléchis pourtant,
Mais j'appréhende toujours autant.

Braver les interdits n'est pas toujours excitant, je le comprends à présent. Je remercie le seigneur de ne pas avoir encore dérapé.

Cette histoire n'a rien de ouf, je le sais pertinemment, mais elle me travaille tous les jours, et la seule façon de m'en libérer c'est de rapper.

- T'es hyper bon, Ivan, souffle Sab à ma gauche.

C'est la seule qui a réussi à me faire décrocher un sourire.

- J'ai entendu dire que t'allais t'envoler d'ici peu ?

- J'ai besoin de prendre l'air...

- Tu le mérites, surtout.

Elle me tapote doucement l'épaule et Doum's nous rejoint.

- Faudrait qu'on fasse un feat ensemble, il me manque le crâne d'œuf à ma salade césar.

- T'as quelque chose à me montrer ? Je demande.

- Pas encore, mais laisse-moi quelques semaines, j'annonce un délire que tu pourras pas refuser.

- J'attends de voir ça.

- Tu payes ta feuille ?

Je jette un regard à la brune qui me sourit pour me dire qu'il n'y a pas de litige, et nous nous mettons en retrait.

- T'as un putain de ticket avec elle, finit-il par dire.

- Quoi ?

- Fais pas genre tu comprends pas.

- Sabrine ? T'es un ouf toi, elle a quelqu'un.

- Gros, les bails de concubinage c'est fini. Une meuf en couple pécho bien plus que les célibataires de nos jours. Elle te regarde avec des cœurs dans les yeux, la go.

- Peut-être parce qu'elle a kiffé mon dernier son... Soufflé-je sans grande conviction.

En vérité je me fiche pas mal de ce qu'il me raconte, je n'ai pas la tête à m'imaginer dans des bails sombres avec une personne dont, la toucher, ne m'est jamais venu à l'esprit.

Il doit sûrement me dire ça pour me charrier, on a dû lui dire par téléphone arabe que je ne cherchais plus à fourrer à tout prix.

- Je veux savoir de qui il parle, ce son. Dit-il alors que je lui tends ma dernière feuille.

- Tu la connais pas.

- Et alors ? Blonde, brune ? Grande ? Petite ? Tarpé ?

- Arrêtes ton questionnaire, tu le sauras en temps voulu.

- Mais c'est que c'est du sérieux alors !

Je secoue nonchalamment la tête tandis que le basané échappe un rire gras dû à son chat dans la gorge. Mais je n'ai pas la foi de démentir, ou même de débattre.

- Je t'ai rien dit, OK ?

- Evidemment, moussaillon ! Il acquiesce en tripotant mon bonnet du bout des doigts.

- Ta gueule avec ça.

Le petit comité s'éparpille aux alentours de vingt trois heures. Jimmy est le dernier à partir. On a parlé de l'album et un peu des instrus. Il a tenu à rester pour montrer à sa meuf que c'est un gars busy.

J'ai décidé de partir en premier, exténué par la fatigue mais surtout lassé de devoir supporter les regards inquisiteurs de mes interlocuteurs entre deux questions censées être innocentes. On s'est salués une fois dehors, puis avons pris un chemin opposé.

J'ai machinalement sorti mon téléphone et remarqué mes appels manqués.

Elle a essayé de me joindre et m'a laissé un message, dans lequel elle demande s'il est possible de nous voir ce soir.

Je confirme d'un simple « OK » et reprends ma route dans le noir.

Une bonne partie des lampadaires sont éteints, je ne vois qu'à cinq mètres à peine. Mais j'aime cette pénombre, c'est comme si ce qui émanait de moi depuis des siècles avait pris possession de mon air. Il fait sombre et lugubre, même l'air blanchâtre que j'expire n'arrive pas à se faire voir. J'ai la chair de poule à certains passages, mais je me sens tout de même dans mon élément.

J'arrive après vingt minutes de marche et mon quartier semble avoir été épargné. Je la trouve devant la porte du hall à m'attendre, le visage fermé.

- Salut, dit-elle en premier.

- Ouais.

J'ouvre la porte et la fais passer avant, nous montons les trois étages en silence et elle s'écarte pour me laisser ouvrir ma porte d'entrée.

Puis, nous entrons dans le même mutisme. Elle sent qu'elle m'a offensé, elle n'arrête pas de chercher mon regard que j'évite soigneusement pour ne pas flancher.

- Jazz je...

- Ça été ta journée ? Je m'enquis alors.

Elle me fixe encore, tandis que je me débarrasse de mon blouson et de mes chaussures. Surprise, de ma désinvolture.

Ma conscience se range rapidement de mon côté, lui montrer d'une quelconque manière que son absence soudaine et injustifiée aurait pu me faire du mal, serait une erreur de débutant. Je souris alors et lui propose à boire, qu'elle décline silencieusement.

- J'ai quelque chose à te dire, annonce-t-elle, doucement.

Elle souffle et croise les bras sur sa poitrine comme pour se protéger de mon éventuelle réaction. Mais je ne vais pas la laisser déblatérer son excuse qu'elle a dû concevoir des heures durant.

- Moi aussi.

- Laisse-moi commencer s'il te plait...

- Tu veux venir avec moi en Argentine ?

Elle reste interdite, les yeux dans les miens et je soutiens le regard, tout en attendant patiemment sa réponse.

- C'est... Très soudain, j'sais pas quoi dire...

- C'est une occasion de nous chercher librement.

- Sans être caché ? D'accord, mais je... J'dis quoi à mon père ? Et j'ai pas d'argent...

- Tu ne dépenseras pas un centime, montres moi juste tes sentiments.

TroubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant