L'amour d'une sœur

II

– Ils sont en train d'ouvrir le caveau pour y faire entrer le cercueil, murmurai-je à Anthony, lui tenant la main. On voit notre nom juste au-dessus de la porte du caveau, il est gravé avec de belles lettres.

Anthony regardait la scène sans voix, tendant l'oreille pour bien entendre mes murmures. Je n'avais peut-être pas besoin de lui décrire ce genre de scène, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. C'était devenu une telle habitude que je ne réalisais presque plus. J'avais déjà eu l'occasion de me trouver là, devant le caveau que je trouvais gigantesque de notre famille, pour assister au dépôt des morts. Anthony était bien trop jeune pour se rappeler de cet endroit, la dernière fois où nous étions venus pour l'un de nos oncles.

– Le ciel est gris, mais je ne pense pas qu'il va pleuvoir.

Ce qui était quand même une chose à souligner. On ne pouvait pas dire que le climat londoniens soit vraiment clément avec nous ces derniers temps.

– Oncle Victor est là ? me demanda-t-il curieux.

Mon regard se porta instinctivement vers l'homme se tenant près de notre mère, de l'autre côté. C'était son frère, notre oncle donc. Mes yeux croisèrent les miens et il me lança un regard noir. J'étais persuadée qu'il m'aimait encore moins que ma mère, ce qui était quand même difficile.

– Il est à côté de mère, repris-je en me penchant un peu vers Anthony pour pouvoir parler plus bas. Il porte un costume noir, avec une chemise grise et un nœud papillon noir. Si tu veux mon avis, il manque cruellement de goût.

Anthony se mit à rire légèrement et notre mère nous lança un nouveau regard noir.

– Et Sarah ?

– Elle est là aussi.

Je tournai mes yeux vers Sarah, la sœur de mon père, qui avait une mine horrible. Mon cœur se serra à l'idée de ce qu'elle devait ressentir, maintenant qu'elle perdait son troisième frère. Elle était toute seule et malheureusement, je ne pouvais pas m'empêcher de me lire dans mon futur en plongeant mon regard dans le sien.

La cérémonie avait été vraiment très belle, je n'en avais pas douté une seconde. Des personnes étaient intervenus pour parler de notre père, qu'ils semblaient pour la plupart tous apprécier. En même temps, il n'était pas concevable de dire le moindre mal d'un défunt. Beaucoup avait souligné le trop jeune âge de sa disparition et le fait que c'était un nouveau coup dur pour la famille, mais personne ne se rendait compte que ce n'était pas normal. Que ce n'était pas un simple coup du sort. Mais comment pouvaient-ils le deviner, alors que mon père ne semblait avoir fait qu'une simple crise cardiaque. Ce qui était le cas bien sûr, mais je savais que le destin avait déjà décidé de notre sort à tous, à cause de cette fichue malédiction. Une plaque avait été rajoutée, à toutes celles déjà présentes. George Meery (1810-1859) venait de rejoindre les siens.

J'aurais bien terminé cette journée de cette manière, en rentrant chez moi et en me contentant de profiter de mes deux frères. Mais ma mère, par tradition affirma-t-elle, avait décidé d'organiser un repas chez nous. A la mémoire de notre père, parce qu'il méritait qu'ils lui rendent hommage. A mes yeux, ce n'était pas vraiment de cette manière qu'on le faisait, mais je n'avais pas mon mot à dire. Après la cérémonie donc, ma famille, étendue par la présence de mon oncle et de ma tante, et moi rentrèrent chez nous en compagnie d'ami proche. Quand nous arrivâmes chez nous, la table du repas était déjà près. Helena et Edmund, le couple de domestique qui travaillait pour nous, s'étaient vraiment donné du mal. Je m'installai au bout de la table, autour de mes frères, le plus loin possible de ma mère et de mon oncle. Sarah vint s'assoir juste à côté d'Anthony. Quand tout le monde fut installé, les conversations démarrèrent très rapidement. Je ne dis pas grand-chose moi, me contentant surtout d'observer les invités autour de la table et de tenter de percevoir les conversations qu'ils avaient.