14. Mon monde, ton monde

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Ils cheminèrent de longues heures en silence, Alyssa regardant le paysage défiler par la fenêtre de la calèche et Kerian broyant du noir, le regard fixé sur les rideaux. Les deux étaient assis sur la même banquette, mais chacun au bout le plus éloigné, ce qui énerva Kerian bien vite. Il ordonna une halte et descendit pour se dégourdir les jambes. Alyssa descendit prudemment dans la neige, pas aussi assurée que le vampire.

Alors que ce dernier se tournait vers elle pour lui proposer son aide, il vit qu'elle fixait avec un air émerveillé quelque chose derrière lui.

-Alyssa ? Tout va bien ?

La jeune femme ne répondit pas, se contentant d'un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. Kerian se retourna et chercha la source d'une telle réaction. Derrière lui, à quelques centaines de mètres, se tenaient une biche et son petit, se promenant dans la neige. Le petit semblait ne pas faire cas de la présence d'étrangers et gambadait joyeusement sur le manteau blanc et glacé.

Soudain, un craquement que produisit Alyssa en marchant sur une branche dissimulée par la neige fit réagir les deux animaux qui prirent la fuite aussitôt.

-Mince ! Râla la jeune femme en s'avançant encore un peu.

- Ce ne sont que des animaux, Alyssa, c'est dans leur nature de fuir, dit doucement Kerian en voulant l'enlacer.

La jeune femme s'écarta et lui jeta un regard étincelant de reproches, ce que le vampire prit pour une mise en garde.

-Ce ne sont que des animaux, mais ils étaient beaux tous les deux, et j'aurais aimé les voir un peu plus, c'est tout.

- Oui, je comprends.

- Non, je ne pense pas.

Sans plus s'expliquer, Alyssa se détourna et marcha encore un peu dans la neige épaisse, savourant le fait de se dégourdir les jambes avant de repartir. Elle arriva à un lac voisin, en plein milieu du champ au bord duquel ils s'étaient arrêtés. La couche de glace lui rappela alors un vieux souvenir, de nombreux mois auparavant...

Kerian apparut à son côté sans crier gare et la serra dans ses bras avant qu'elle n'ait le temps de s'éloigner.

-Pourquoi tu me repousses autant ? Demanda le vampire.

- Quand tu vois ce lac, à quoi penses-tu ?

« Tactique habituelle d'un humain pour détourner la conversation » songea Kerian tout en décidant de se plier au jeu.

-A notre première rencontre. Je crois que j'y repense à chaque fois que je vois un lac. Et toi ?

- Pareil. Mais je me demande toujours ce qu'il se serait passé si tu n'avais pas été là.

- Ce n'est pas compliqué à deviner, Alyssa.

- Qu'est-ce que tu faisais dans la forêt, à une heure aussi tardive ? Je sais que tu vois dans le noir, mais ça n'explique rien.

- Je chassais. Il faut bien que je me nourrisse, la nourriture normale n'est pas franchement une aide pour moi.

- Et tu chasses des humains parfois ? S'enquit Alyssa en se retournant pour le fixer.

- Jamais quand je peux l'éviter. Tu es humaine, ma douce, et les chasser reviendrait à te chasser toi, je m'y refuse.

Attendrie par la réponse, la jeune femme se serra un peu plus contre le torse de son compagnon, bien que cela ne fit qu'accentuer son claquement de dents. Elle décida alors de profiter de la situation.

-Kerian, quand nous avons parlé avec ce Van Helsing...j'ai bien compris que vous ne vous aimiez pas. Et que vous vous connaissiez. Il faut que tu me dises de quoi il retourne. Je suis avec toi depuis un moment déjà, et nous partons en Europe ensemble. Il n'est plus temps de se faire des cachotteries.

Le vampire poussa un soupir et se détacha de la jeune femme, guère étonné qu'elle n'aborde le sujet.

-Ce ne sont pas des cachotteries, loin de là. Tu dois comprendre que mon monde, et le tien, sont très différents, mais étroitement liés, dit-il doucement, et parfois, quand ils se rencontrent...ça peut très mal tourner. Van Helsing en est la preuve. Je ne te raconterai pas ce qu'il s'est passé, fais-moi simplement confiance. D'accord ?

Alyssa le fixa et il comprit vite que cette réponse, qui finalement n'en était pas une, ne lui suffisait absolument pas.

-Tu sais tout de moi, murmura finalement Alyssa, blessée, et je ne sais rien de toi.

- Tu connais mon plus terrible secret, qu'y a-t-il de plus à savoir ?

- Ce que tu ne me dis pas. Je suis humaine, pas stupide.

Et elle se détourna pour regagner la calèche. « Ce voyage jusqu'en Angleterre va être bien long » songea Kerian en la suivant, plus conscient que jamais qu'il ne pouvait la protéger si elle connaissait l'étendue de la vérité. 

Another DraculaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant