Premiers rayons - printemps, 16 ans

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Température extérieure : 17°C
Vue du ciel : nuages en forme de sourires

Rob était le premier qu'elle avait rencontré. Ce jour d'avril qui avait célébré le retour des jambes nues, au milieu des vacances de Pâques. De son groupe d'amies, elle était la seule à avoir osé la jupe, mais elle s'en fichait éperdument. C'était peut-être ce détail qui avait fait la différence. Une mini-jupe en tulle vert sorbet. Cet après-midi-là, elle s'ennuyait mortellement. L'Embuscade – c'était le nom du café – était désert, la musique soporifique. Pour se remonter le moral, elle était allée faire un tour au bar et s'était hissée sur un de ces hauts tabourets qui vous donnent l'impression d'être une girafe.

Lorsque Rob, sortant des toilettes, était passé près du bar, cette jupe était la première chose qu'il avait remarquée. Avant ces longs cheveux brun mordoré. Avant ce pull rose indien qui était pourtant loin de passer inaperçu. Avant d'être une personne dans sa totalité, dotée d'un visage et d'un prénom, Délia avait été une paire de jambes un peu pâles perdues dans le vide. C'était peut-être – sans doute – ce qui avait poussé Rob à l'aborder.

Il avait proposé de lui offrir un verre. Elle avait opté pour une vodka-grenadine, lui pour une bière. Quelques secondes plus tard, un autre garçon les avait rejoints.

– Je te présente Julien, mon meilleur ami.

Elle avait vaguement aperçu un géant dont le visage était en partie dissimulé par une jungle de boucles. Pas mon style, avait-elle pensé, détournant le regard. Ce jour-là, elle n'avait d'yeux que pour Rob.

Rob fréquentait une école militaire qui, à sa majorité, lui permettrait d'intégrer l'armée. Un apprenti soldat. Elle avait éprouvé un soupçon de frayeur lorsqu'il lui avait fait cette révélation. Mais la vodka-grenadine avait noyé ses préjugés. Rob était mignon avec ses cheveux très courts, ses yeux dorés et son grain de beauté au coin de la lèvre. Il n'avait pas la tête d'un maniaque dangereux. Elle avait invité Rob et l'invisible Julien à sa table pour les présenter à ses amies.

L'ambiance avait pris une tournure plus festive avec l'arrivée des garçons. Très vite, Amandine avait monopolisé Julien tandis que Délia s'était isolée à une table avec Rob. Rob était drôle et tellement gentil. Elle avait eu envie de l'embrasser, mais elle était restée corporellement passive, inerte, comme cela lui arrivait souvent avec les garçons. Il y avait une inadéquation entre sa tenue, cette mini-jupe aguichante et sa profonde timidité. Tout ce qu'elle osait vestimentairement était une façon de compenser ce qu'elle n'osait pas concrètement. Elle avait mis de l'intensité dans son regard, avait ri à chaque chose amusante qu'il lui racontait, avait croisé et décroisé les jambes un nombre incalculable de fois. Et enfin Rob avait fini par l'embrasser.

Lorsque Délia avait entrouvert les yeux, elle avait aperçu, par-dessus l'épaule de Rob, le géant bouclé qui les observait. Et, quelques minutes plus tard, c'était elle qui avait observé le géant embrassant Amandine. Elle s'était dit que c'était super qu'une de ses amies sorte avec Julien – même s'il fallait vraiment avoir de drôles de goûts pour embrasser un type pareil –, ainsi ils pourraient faire des sorties à quatre. C'était la première fois qu'une telle opportunité se présentait. Avec sa meilleure amie, Ambre, elle n'avait jamais eu l'occasion de goûter aux joies des sorties en couples. Il faut dire qu'Ambre avait la mauvaise manie de choisir ses petits amis parmi l'élite BCBG de l'école, au regard de laquelle Délia était au mieux transparente, au pire pestiférée.

Ambre avait le physique des filles de l'Est, ce qui n'était guère surprenant étant donné ses origines lituaniennes. Yeux verts immenses, longs cheveux châtains, corps non-humain. C'était le genre de fille qui lui aurait volé la vedette si elle s'était mise à porter des jupes.
Heureusement, sauf cas de force majeure, Ambre ne portait jamais de jupes, car elle jugeait ses cuisses trop maigres et préférait rester discrète. Il fallait vraiment que les températures atteignent des sommets pour qu'elle renonce à son besoin de discrétion. Et, même dans ce cas, elle avait l'amabilité de choisir des jupes trapèze immondes qui permettaient à Délia de supporter la comparaison. Comble de l'amitié, Ambre avait des mollets gros comme des pastèques. Délia aurait pu la plaindre, mais lorsqu'on voyait Ambre, son visage de poupée russe trônant sur un corps athlétique, il était difficile d'éprouver la moindre pitié. Ses mollets hors normes étaient juste la preuve qu'il existait une justice dans ce bas monde.

Rob l'avait beaucoup embrassée ce soir-là. Il embrassait très bien. Mais Délia s'était sentie gênée, elle ne savait pas exactement pourquoi, peut-être parce qu'elle s'était sentie à chaque fois observée par le géant bouclé. Elle n'en avait pas la preuve, c'était juste une drôle d'impression. Ce jour-là, elle s'était dit qu'elle n'aimait pas Julien, qu'il était bizarre. Un pauvre type. Trop grand. Trop bouclé. Manquant de conversation. Vraiment pas mon style.

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Il y a des allers-retours dans le temps sur les quatre premiers chapitres. Je vous invite donc à bien lire les titres des chapitres où je glisse le repère temporel.

Un petit tableau récapitulatif pour ceux qui en auraient besoin :

Chapitre 1 = été, 17 ans
Chapitre 2 = printemps, 16 ans (c'est le chapitre que vous venez de lire)
Chapitre 3 = été, 17 ans (c'est le prochain chapitre et c'est la suite du chapitre 1)
Chapitre 4 = printemps, 16 ans

Ensuite, cela se poursuit de façon chronologique, je vous rassure !

Hier, c'était l'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant