Frisson (2/2)

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Le miroir n'avait pas menti. Thibault était d'une beauté à couper le souffle. Des yeux d'une couleur rare, bleu curaçao, mis en valeur par des cheveux noirs coupés en brosse. Mmm... Il était vraiment sexy.  

Elle esquissa un sourire timide, tout en restant muette et immobile ; elle n'était pas sûre que ses jambes en coton lui permettent de faire un pas de plus, ni que son cerveau en bouillie daigne lui insuffler une phrase digne de sens. Heureusement, Thibault prit les devants et lui pressa l'épaule, tout en déposant un baiser près de son oreille :

– J'ai bien fait de venir, à ce que je vois.

Elle devint aussi rouge que si le thermostat de la pièce avait soudain été monté sur trente-cinq degrés. Gênée, elle reporta son attention sur Rob qui, malheureusement, était en train de déboutonner son jeans au milieu de la cuisine. Elle leva les yeux au plafond, ne sachant plus où se mettre.

Pendant qu'elle concentrait son regard sur un grille-pain rétro, Rob enfila le jogging que Thibault avait apporté, ne tarissant pas d'éloge sur ce havre de confort. Une fois débarrassé de sa torture, il retrouva le sourire. Il déboucha une bouteille de cidre, alluma la stéréo dans le salon et se mit à sautiller dans tous les sens pour célébrer sa mobilité retrouvée.

– Je n'arrive pas à l'imaginer dans l'armée, confia Délia en grimpant les escaliers à la suite de Julien qui avait proposé de lui faire visiter la maison. Il est tellement lunatique.

– C'est parce qu'avec nous il décompresse. Mais lorsqu'il est là-bas, il est obligé de se tenir à carreaux.

La visite les conduisit dans la chambre d'amis, une pièce mansardée où Rob avait déjà posé ses affaires. Délia ne savait pas encore où elle dormirait et n'osa pas poser la question. La pièce comprenait un grand lit et un baby-foot. Peut-être pousserait-on le baby-foot pour ajouter un matelas.

Arriva le moment où Julien poussa une porte et déclara avec solennité : « Voici ma chambre. » Délia fut saisie d'une violente émotion en pénétrant dans la pièce qui n'avait pourtant rien d'extraordinaire. Il s'excusa du désordre, loin de se douter qu'en réalité, il rassurait la jeune fille. Elle n'aurait pas aimé découvrir que Julien était un maniaque du rangement.

– Je te laisse t'installer.

Délia acquiesça, trop confuse pour démystifier le sens de cette parole.

Une fois seule, elle s'assit sur le lit, s'adossant au mur jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus sol, et analysa la pièce. Devant elle se tenait une étagère remplie de romans. Ce qui, dans la chambre d'un garçon de seize ans, méritait d'être admiré. Les murs étaient d'un bleu moyen, légèrement orageux, dépouillés de toute décoration, hormis un poster des Cocoon Trash. Délia sourit. Ce poster ajouté au désordre leur faisait déjà deux points en commun. Mis à part ça, la chambre était bien plus spacieuse que la sienne, possédait dix fois plus de CD's et sentait différemment. De la fenêtre ouverte montait la rumeur des soirs d'été. Odeur d'herbe et de fleurs, mêlée à des effluves de barbecue, rires, éclats de voix se fondant harmonieusement dans les ténèbres.

Délia éprouvait un sentiment très doux. Le sentiment, enfin, d'être chez elle. À cet instant elle comprit ce qu'il avait voulu dire. Je te laisse t'installer. C'est dans ce lit, cette nuit, qu'elle dormirait.

Forte de cette révélation, elle décida que « l'installation » avait assez duré. Ce n'était pas comme si elle avait apporté un carton de déménagement.

Au moment où elle s'apprêtait à quitter la pièce, elle tomba nez-à-nez avec le poster qui tapissait la porte. C'était le gros plan d'une fille adossée à un réverbère dans la pénombre d'une rue. Avec ses cheveux courts et son sweat-shirt à capuche, elle avait des airs de garçon manqué, si ce n'était ce visage.

 Avec ses cheveux courts et son sweat-shirt à capuche, elle avait des airs de garçon manqué, si ce n'était ce visage

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Des yeux immenses. D'un bleu foudroyant. Comme il ne devrait être permis d'arborer lorsqu'on possède déjà des cils parfaitement étoffés. Et cette jungle ciliaire ne pouvait être l'oeuvre d'un unique mascara. Non, on devinait que cette fille appartenait à cette race d'êtres humains qui ont reçu à la naissance des yeux étoilés. Injustice suprême, sa bouche était pulpeuse. Mais le pire de tout, c'était son expression. Elle ne souriait pas, ne tirait pas la tronche. Elle était juste là, comme prise sur le vif. Avec dans le regard cette désinvolture des filles qui se foutent éperdument de plaire ou de déplaire.

L'espace d'un instant, Délia eut envie d'arracher le poster, puis elle se rappela qu'elle n'avait rien à lui envier :

– Qui que tu sois, ce n'est pas toi qui dormiras avec Julien ce soir !

Lorsqu'elle descendit au salon, elle trouva les garçons sur le canapé, captivés par une télévision étonnamment silencieuse. Sur l'écran se déhanchait une fille dont la peau semblait mouillée ou perlée de sueur, en brassière ultracourte ornée de feuilles de lierre et jeans-plus-taille-basse-tu-meurs.

– Mais c'est Britney ! s'exclama Délia en prenant place entre Julien et Thibault. Je croyais que c'était un délit d'aimer Britney ?

– Un délit d'écouter, pas de regarder, précisa Thibault sans détourner les yeux.

– Et toi, Julien ? Quelque chose à dire pour ta défense ?

– Ce n'est pas moi qui ai allumé la télé.

– Oh... Alors si je comprends bien, tu es au supplice en ce moment ?

– Exactement !

Britney était à présent en pleine chorégraphie sensuelle (ou sexuelle ?). Il y avait de quoi se poser la question vu la façon dont la star se secouait comme si elle était prise de convulsions. La Miss portait un string rose par-dessus son jeans. Ce qui, pour Délia, était le comble du ridicule, mais par pour ses trois amis apparemment.

– Donc, tu ne verras aucune objection à ce que je t'arrache à ce supplice, suggéra-t-elle en grimpant sur les genoux de Julien, ce qui suscita à peine un haussement du sourcil de Rob.

– Euh... Il faut quand même que je m'informe du degré de bassesse dont est capable notre culture, argua Julien en se penchant pour regarder par-dessus son épaule.

– Tu mènes une enquête sociologique ?

Délia se retourna, se retrouvant à califourchon dans une position digne de Britney.

– Il faut parfois souffrir pour la bonne cause, répliqua Julien en cherchant tant bien que mal un moyen d'apercevoir l'écran.

Sans réfléchir, elle lui attrapa le visage et plongea vers sa bouche. Ce n'était pas son genre, pourtant, de se jeter sur un garçon. Sauf avec Julien. Avec lui, elle ressentait toujours l'urgence de l'embrasser. L'impossibilité de se comporter en fille civilisée. Lorsqu'elle se redressa, elle réalisa qu'elle était devenue Britney. Tous les regards étaient braqués sur elle comme des projecteurs.

Rob la regardait avec cette expression qui lui était devenue familière. Un pli d'amertume au bord des lèvres, un regard chargé d'étincelles, mais malgré tout, une étrange impression de calme, comme si Rob maîtrisait les traits de son visage, se composait un masque d'impassibilité. À gauche, le regard de Thibault était tout autre. Un bleu rieur, amusé. Cela choqua Délia. Il y avait quelque chose de malsain. Thibault la regardait exactement de la même manière que, quelques secondes plus tôt, il matait l'écran.

En média : le clip que les garçons regardent. I am a slave 4 U de Britney Spears.

Hier, c'était l'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant