Entre chien et loup

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Vue du ciel : lueur crépusculaire
Goût : pêche

Une bouteille dorée était posée sur la table de nuit. Délia en but une rasade qui dégoulina dans son cou. Oh non ! Elle s'essuya le menton d'un revers de main et renifla discrètement le tee-shirt, paniquée à l'idée d'avoir altéré l'odeur de Julien. Un parfum viril, émouvant, lui caressa les narines. Soulagée, elle se retourna et vit que Rob la dévisageait, le regard captivé.

– Il n'y a pas de fille à la caserne ? interrogea-t-elle, s'asseyant à côté de lui sur le matelas de plage.

Elle ramena le tee-shirt par-dessus ses jambes, puis posa le menton sur ses genoux pour respirer à nouveau l'odeur du géant.

– Si. Une seule.

– Je la plains, elle doit se faire draguer à longueur de journée.

– Pas vraiment, démentit Rob. Elle fait tout pour s'enlaidir. D'ailleurs, elle est plus baraquée que moi. Tout le monde la traite comme un mec, même si elle a sa chambre à part. De toute façon, les relations entre cadets sont contraires au règlement. Ce n'est pas bon pour la cohésion du groupe.

Délia resta songeuse un instant.

– Je ne crois pas que l'inverse pourrait être vrai. Je veux dire s'il y avait un seul garçon pour cent filles, il y aurait forcément un massacre. Même s'il n'était pas spécialement beau. Les filles veulent toujours surpasser les autres filles.

– Mais c'est pareil entre garçons, l'interrompit Thibault. La seule différence, c'est que nous on est fair-play. Si un autre gagne, on ne lui arrache pas les cheveux pour autant.

– Non, on lui décoche juste un coup de poing et c'est réglé, lança Rob.

Leurs rires s'entremêlèrent. Délia déplia ses jambes pour s'allonger sur le ventre. Rob adopta aussitôt la même position. Comme il n'y avait pas suffisamment de place sur le matelas de plage, Thibault s'allongea par terre. La bouteille circula entre les mains, arrachant quelques confidences.

– Au fait, comment vous êtes-vous rencontrés tous les trois ?

Rob jeta un regard par-dessus l'épaule de Délia :

– Je peux ?

Thibault leva un pouce en signe d'approbation. Rob se tourna sur un coude :

– Julien et moi, on se connait depuis la maternelle. Thibault est arrivé en primaire. Il y avait ce stupide jeu « Une gifle ou un baiser ». Les garçons devaient courir après les filles et si on en attrapait une, on lui demandait : « Une gifle ou un baiser ? » Julien et moi, on se mangeait des claques à longueur de récré, alors que Thibault se faisait embrasser à tous les coups.

– Ça ne m'étonne pas ! s'exclama Délia qui s'imaginait sans peine une horde de filles courant à faible allure dans l'espoir d'être rattrapée par Thibault.

– Détrompe-toi. À l'époque, il était plutôt laid.

– N'exagère pas tout de même ! se vexa Thibault.

– Tu veux que je lui montre la photo de classe ? Je crois que Julien range tous ses albums dans cette commode.

Rob rampa jusqu'à la commode et tendit la main vers le tiroir du bas. Thibault bondit aussitôt sur lui et ils roulèrent l'un sur l'autre. Même si elle savait qu'il s'agissait d'une fausse bagarre, Délia s'agrippa au dos de Thibault pour les séparer. Thibault se retourna aussitôt, la plaquant au sol. Elle sentit son souffle parfumé à la pêche se poser sur son visage. Ses yeux bleus la fixaient avec une intensité déstabilisante.

Hier, c'était l'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant