Les jambes tremblantes, Délia gravit les quelques marches qui menaient à la scène. Aveuglée par les projecteurs, les créatures qui lui faisaient face auraient tout aussi bien pu être une assemblée de castors qu'une armée de gens qu'elle n'aurait pas vu la différence. Elle rendit grâce au Seigneur – auquel elle ne croyait toujours pas, ce qui ne l'empêchait guère de le remercier à l'occasion – de lui avoir offert une si mauvaise vue et décida que, puisqu'il ne tenait qu'à elle de choisir ce qu'elle voyait, elle parlerait pour un public de castors.
Après s'être présentée, elle plongea les yeux sur sa feuille, découvrant en même temps que son auditoire le texte qu'elle avait choisi. Estimant qu'elle ne parviendrait jamais à trouver un poème qui lui donne entière satisfaction, elle avait pris le risque d'attraper une feuille au hasard. Bon, d'accord, soyons honnête, elle avait effectué une petite sélection au préalable, éliminant les plus pitoyables. Néanmoins, elle avait oublié d'éliminer celui-ci, qui n'était peut-être pas le plus médiocre mais qui était bien trop intime pour être lu devant salle comble.
Elle tenta de gagner du temps en ajustant le micro qui, malheureusement, était déjà parfaitement à sa hauteur.
Une assemblée de castors. Rappelle-toi, ce n'est qu'une assemblée de castors.
Rassurée par cette pensée, elle se lança :
« Julien, une lumière qui ensorcelle,
Qui agresse et donne des ailes,
Julien, le vert des eaux troubles
Et celui des prés radieux,
Julien, un paradoxe vivant,
Une ecchymose qui grandit avec le temps,
Julien, de toi, je me souviens
Comme d'une lettre inattendue
Qu'on ouvre avec la peur d'être déçue
Mais tes mots ont toujours égalé
La force de mes rêves.
À mon destinataire privilégié,
Je dédie ce poème qui s'achève,
À toi, Julien,
Car tu as trouvé l'endroit qui te convient
Tandis que moi je continue de courir
Là où me pousse le destin,
À croire que tu n'étais pas mon avenir,
Juste une étoile sur un chemin. »Après le dernier vers, des applaudissements crépitèrent. Cela faisait un brouhaha d'enfer. Délia imagina des castors frappant leur queue plate sur les tables lorsque, soudain, la lumière inonda la salle. Elle sentit son cœur s'accélérer et sa respiration faiblir. Le trac est censé survenir avant ou pendant la prestation, et non après. Pourtant, c'est maintenant qu'elle était sur le point de défaillir. Car il fallait assumer d'être la fille qui avait écrit ce poème, non pas devant une famille de castors étrangers au langage humain, mais face à une armada de visages qui la fixaient comme s'ils l'avaient percée à jour.
Elle quitta précipitamment l'estrade pour rejoindre sa table au fond de la salle.
Une fois à l'abri des regards, elle inspira à fond pour retrouver son calme en espérant que la prestation suivante serait plus catastrophique que la sienne. Le garçon sur lequel le projecteur était à présent braqué avait des cheveux blonds noués en une queue de cheval et portait un grand chapeau noir. Malgré cet accoutrement, il avait un très beau visage. Elle ne pouvait le voir d'où elle était, mais elle l'avait heurté en quittant la scène et avait été frappée par ce visage qui lui avait paru irréel comme celui d'un chevalier ou d'un personnage de l'antiquité gréco-romaine. S'il s'appelle Apollon, je l'épouse, s'était-elle promis.
Elle avait souvent ce genre de pensée incongrue pour refouler tout désir en elle. Par exemple, si elle croisait un garçon mignon, elle se défiait S'il porte une bague rose à l'annulaire, je sors avec lui ou S'il s'appelle Archibald, je l'invite à prendre un verre. Ou encore Si son tee-shirt est à l'effigie de Casimir, je l'embrasse sur-le-champ.
Jusqu'à présent aucun garçon ne s'était avéré digne de ses prophéties.
Après avoir rehaussé le micro, le garçon au visage d'éphèbe se présenta. Il s'appelait Arnaud. Ouf ! Elle l'avait échappé belle. Son texte, annonça-t-il, parlait de la vivisection. Heureusement qu'elle n'était pas passée après lui, sinon elle aurait vraiment eu l'air d'une guimauve.
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Hier, c'était l'été
Dla nastolatkówÉté = floraison de la Beauté. Automne = floraison des Adieux. Délia ne se sent vivante qu'en été, saison des retrouvailles avec ses trois amis. Rob, l'apprenti militaire. Julien, le géant au cœur de pierre. Et Thibault, le garçon le plus sexy de la...