Clair-obscur (1/2)

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Vue du ciel : branches tentaculaires
Odeur : terre et fougère

Thibault s'adossa à un tronc d'arbre couvert de lierre.

– C'est quoi ce canapé ?

Délia contempla un divan vert bouteille à moitié déchiré qui semblait faire partie de la forêt au même titre que les hêtres et les peupliers. Du plus loin qu'elle se souvenait, il avait toujours été là. Certaines filles, dont les parents étaient trop sévères, venaient y retrouver des garçons. Délia avait toujours jugé cela très glauque.

– Tu vois ce à quoi on échappe, lança-t-elle nerveusement. Heureusement que ma mère n'est pas vieux jeu.

Il l'attira à lui pour l'embrasser. Son parfum iodé remplaça l'odeur terreuse des sous-bois. Ses mains vagabondèrent autour de sa jupe, froissant le tissu. Elle sentit l'élastique de sa culotte se détendre et une main chaude épouser sa fesse. Elle se laissa faire sans parvenir à déterminer si c'était agréable ou pas. Oh oui, bien sûr, une partie d'elle-même – incontrôlable, obscure comme les sous-bois – aimait ça. Mais l'autre partie, largement dominante, restait hébétée, rigide comme une poupée de chiffon, un jouet mis à disposition. Ses doigts restaient paralysés derrière la nuque de Thibault, en manque d'inspiration. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle manque de répartie en de pareilles circonstances ?

Elle entreprit de lui caresser les cheveux, mais Thibault eut un mouvement de recul comme si elle cherchait à l'électrocuter.

– Non, pas mes cheveux ! hurla-t-il. J'ai mis du gel.

Elle éprouva soudain une bouffée de nostalgie en songeant à la chevelure de Julien, cette jungle inextricable qui jamais ne refusait qu'on l'explore.

Les baisers reprirent. Plus passionnés. Sauvages. La respiration de Thibault était proche d'un souffle animal, son parfum se faisait plus intense. Elle le griffa pour se mettre au diapason. Aussitôt une main se referma sur elle, écartant son poignet.

– Attention ! J'ai un grain de beauté. Si tu l'arraches, je peux mourir.

Elle enregistra mentalement la liste des interdictions : ne pas lui toucher les cheveux, ne pas lui gratter la nuque. Elle faillit demander s'il y avait autre chose. Autant le savoir d'avance, histoire d'éviter une nouvelle maladresse. Mais les baisers reprirent, coupant court à sa question. À nouveau, les mains furetèrent sous sa jupe. À nouveau elle se sentit prise au piège. En haut des cimes, les corneilles jetaient des cris scandalisés. Elle retrouvait en lui ce qu'elle avait entraperçu le premier jour, qui lui avait causé tant d'effroi. Une détermination sans faille. Mais maintenant qu'elle était sa petite amie, elle avait perdu le droit de se dérober.
Pourtant une petite voix lui intimait qu'il était urgent de poser des limites. Que Thibault n'aille pas s'imaginer qu'elle était comme ces filles, prêtes à perdre leur virginité au milieu des sous-bois...

– Tu as entendu ce bruit ?

Elle s'écarta légèrement.

Thibault n'avait rien entendu ; il était bien trop occupé. Mais Délia croyait avoir perçu un chuchotement.

– Laisse tomber. Ça doit être une chouette.

– Mais non, elles ne hululent que la nuit. Je suis sûre qu'il y a quelqu'un.

Elle n'était sûre de rien, mais elle s'éloigna. Un peu pour vérifier, un peu pour mettre de la distance entre elle et le désir de Thibault. Elle s'approcha du canapé, se frayant un passage entre les fleurs sauvages et les emballages de préservatif.

– Il y a quelqu'un ? Si vous êtes là, montrez-vous. On n'aime pas les voyeurs.

Une silhouette masculine surgit du divan. Elle fit un pas en arrière en plissant les yeux pour distinguer son visage assombri par l'ombre d'une branche. Il lui disait vaguement quelque chose. Une fille émergea à son tour, décoiffée, visiblement mal à l'aise.

Hier, c'était l'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant