Et les fans te trompent

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Maintenant que ses écrits lui convenaient. Edouard se rendait compte qu'il n'avait toujours pas résolu le problème technique du nombre d'abonnés. On était en juin.

Il eut envie de s'applaudir tout nu devant sa glace en s'insultant. Il le fit. Il n'aimait pas se voir nu dans un miroir (allez savoir pourquoi !). Ça l'énerva encore plus.

Il se remplit une pinte de Ricard, une carafe d'eau pour la diluer, et alluma son vieux Toshiba en s'installant dans son siège. Sa tête résonnait comme un lendemain de cuite (remarquez, quasi chaque jour était un lendemain de cuite).

Une demi-heure plus tard, son Iphlobe vibra. Il demanda à son frigo de remplir un nouveau bock de Petit jaune et répondit :

- Salut, c'est Houston, comment vas ?...
- Venez... Viens-en au fait, Houston !

L'intonation de la réponse agit comme une chape de plomb sur son interlocuteur, qui regretta aussitôt d'avoir perdu du temps sur le problème de son collègue.

- Ça a donné quoi, rue Retrovain ?
- À ton avis ?

Édouard se leva pour aller chercher sa pinte. Il pesta intérieurement : c'était incroyable, en 2040, de devoir se lever pour aller chercher son verre dans son frigo.

- Mouais, bon, mais je suis passé voir ton appli, là. J'ai trouvé une petite faille dans le système d'abonnement.

Édouard se rassit dans son siège.

- Accouche !
- Eh bien l'algorithme qui détermine la promotion de ton histoire est assez simple en fait. En deux, trois manip', tu peux court-circuiter le système de l'appli et apparaître en tête de toutes les catégories de lectures. Ça optimisera ton nombre de fans... et même d'étoiles, je pense. Après, si j'ai bien compris, le nombre d'étoiles n'influence pas du tout le fait de gagner ou non les wattys...

-Laisse-moi gérer ça !

Houston passa une heure à expliquer les deux, trois manipulations. Cinquante-huit minutes plus tard, Édouard Miron avait comprit.

- Houston...
- Quoi ?
- ...Nous avions un problème !
- Très spirituel, personne ne l'avait vue venir, celle-là ! Une dernière chose, le patron se demande si on te verra lundi, au boulot ?
- Non.

Édouard tapota son oreille pour raccrocher. Les résultats ne tardèrent pas. Dans la soirée, le nombre de lectures de son histoire était multiplié par vingt. Il reçut toute sortes de commentaires, insultes, émoticônes, encouragements et conseils pour améliorer le récit. Bref, il faisait le buzz.

Le mouvement s'amplifia les jours suivant. Son nombre d'abonnés gonflait de manière exponentielle, comme l'avait prédit Houston. Les commentaires et les étoiles suivaient  à moindre rythme, mais suivaient. Les mois se suivaient et se ressemblaient. Édouard songea même à embaucher quelqu'un pour modérer les commentaires. Son histoire, en plus d'être lue, s'améliorait au fil des commentaires et des étoiles. C'était vertigineux. Il était presque gêné de ce qu'il avait déclenché. Il se persuadait qu'il avait seulement optimisé la communication.

Parmi les milliers de commentaires, ceux de Fleur93 lui faisaient le plus d'effet. Mais pas l'effet attendu. Il vida d'un trait sa tasse de Whisky et envoya un message un peu plus personnel à sa plus vieille abonnée.

Wattys 2040Où les histoires vivent. Découvrez maintenant