Le dé nous ment - 3

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Cela faisait sept minutes et quelques secondes que le rayon avait quitté l'amas de chaleur du soleil. Il avait parcouru près de 150 millions de kilomètres et se demandait où il atterrirait sur Terre. Ses parents lui avaient beaucoup parlé de la Terre avant de s'y rendre, quelques années plus tôt. Il espérait qu'il verrait l'un de ces grands hommes dont on lui avait tant parlé. Ou un immense building, une statue... ou un magnifique jardin. Il s'approchait de l'impact. Un building ! Non, une statue sur un building... non, c'était tout petit... et moche... C'était donc ça, la Terre !?

Edouard entrouvrit les yeux au bout de quelques secondes mais un rayon de soleil l'aveugla. Il mit encore quelques secondes à s'habituer à la lumière. De son balcon, il embrassait toute la ville.

Un amas de nuages couvrait les immeubles. Les façades étaient verdies par une flore façonnée. Au sol, pas une voiture ne jonchait les boulevards (Google les avait reprises pour construire ses tubes).

Des légions de drones sillonnaient le ciel. Leur bourdonnement était continu (le store isolait phoniquement, bien mieux que sa porte qui fermait mal). Certains livraient, d'autres arrosaient des plantes qui pendaient de façades d'immeubles. D'autres encore cultivaient des jardins. Le progrès. Ce vers quoi il fallait tendre.

Les couronnes de la ville les plus lointaines étaient peu distinctes, mais il en percevait l'effervescence. Plus près de lui, tout lui semblait avoir une place, pensée au mieux. Puis il remarqua quelques éléments inappropriés. un cimetière de Voitube, des fenêtres brisées... L'efficience apparente de la ville s'émailla. Bientôt, il ne vit plus que ces imperfections superflues. Il les jugea grossières.

Il se retourna vers son appartement désormais baigné de lumière. Il observa les ombres des objets se porter contre l'écran de son vieux Toshiba et le mur du fond de son appartement. Tout ce qu'il maîtrisait. Son monde.

Depuis la baie vitrée où il se tenait, il voyait les objets autant que leurs ombres. Leurs ombres, avec lesquelles il vivait en permanence, lui apparaissaient déformées, fausses. Il se retourna une dernière fois pour regarder le monde vaste. Celui qu'il ne maîtrisait pas.

Fallait-il se noyer dans ce monde inéluctable ou l'ignorer ? L'interphone le tira de sa réflexion. Fleur93 montait déjà dans le smartscenseur. Il alla ouvrir la porte.

Il se dit que regarder les ombres des problèmes ne servait à rien.

Qu'est-ce qui avait fait son temps : la sagesse ou la vision de ses penseurs ? Le pouvoir illusoire n'était-il pas seulement celui que les politiques s'étaient façonné ? Et si l'amour ne durait qu'un temps... Non, ça, c'était un vrai problème.

Pire, toutes ses réflexions sur le monde étaient soumises à son point de vue. Il se donna un autre objectif : se débarrasser de son point de vue. Il se savait moche et alcoolique, mais il ignorait jusqu'ici qu'il était plein de préjugés. Ce fut un bond de géant.

Fleur93 entra dans la pièce. Elle fut éblouie par le soleil et tourna la tête aussitôt vers le mur éclairé pour reposer ses yeux :

- Ah, ferme donc ces volets, s'il te plaît !
- La ville est superbe !
- Je sais, je l'ai en fond d'écran de mon ordi. Tu veux bien fermer les volets ?
- Nan mais en vrai, elle est encore plus étonnante en vrai.
- Ne dis pas de bêtise, rit-elle. La qualité de mon ordi est indétrônable.

Édouard n'insista plus. Il alla refermer les volets.

- Merci mon cœur. Bon, tu viens ?, demanda-t-elle d'une voix doucereuse, en se retournant vers lui.

Il jeta un regard circulaire sur la pièce à nouveau plongée dans l'ombre.

-Attends, j'ai une dernière chose à faire.

Il alluma son ordinateur, se rendit sur l'application Wattpod. "Cliqua" sur la catégorie Concours. Fit défiler les derniers commentaires. Et trouva ce qu'il cherchait.

Les commentaires demandant comment fonctionnait la section étaient légion. Il choisit en quelques secondes celui qui paraissait le plus perdu. Il le relut avec un sourire traduisant son émotion, puis copia-colla :

-U FUCKING IDIOT ! CAN'T U READ ? WATTYS 2040 ARE OVER SINCE OCTOBER, U NOOB A BOOTS ! F*** U !





FIN.

Wattys 2040Où les histoires vivent. Découvrez maintenant