L'Ampe houle - 2

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Seuls deux chômeurs séparaient Édouard de la borne qui signerait la fin de toute possibilité de discussion avec la jeune fille.

-Vous êtes de quel quartier ? demanda-t-il d'un air faussement indifférent.
-Je viens du quartier du Rouennais. Tu recherches dans quoi ?
- Je viens pour une formation aux réseaux sociaux. Et toi ?

Il émanait de chacun des gestes de la jeune femme cette sorte de majesté qui avait le don de faire perdre au jeune homme ses moyens. Il n'entendit pas sa réponse, ni celles des questions suivantes qu'il posa.

La file avançait. Ce fut bientôt son tour. Il réussit à placer un "à tout à l'heure" avant de se retourner face à la borne.

Il obtint un ticket. Il dut le faire valider et ne retrouva pas la jeune fille. Il ne lui avait pas demandé son nom.

Son premier cours de maîtrise des réseaux sociaux commença une heure plus tard. Il se déroula dans une grande pièce en pente, sans chaise ni table. (Des experts avaient mis en évidence que ces derniers ralentissaient l'apprentissage.)

Édouard commença le cours en s'allongeant sur le ventre. D'autres préférèrent s'asseoir, d'autres encore restèrent debout.

Le professeur était jeune et semblait bien équipé (en matériel informatique, s'entend. Édouard ne mangeait pas de ce pain-là, lecteur lubrique !). Il s'installa par terre, devant les élèves.

-Mettez tous vos Gglass, demanda-t-il en enfilant les siennes.

Pour tous ceux qui obéirent, le mur derrière lui se transforma alors en bureau Windows géant. Le curseur alla cliquer sur un fichier intitulé "ResSocCours1", situé près de la fenêtre. Un PowerPoint s'ouvrit : intitulé : réseaux sociaux, comment les maîtriser rapidement.

La suite fut une série de banalités de niveau CE1 sur Internet. À coup de codes html, de périphrases binaroplégiques et autres "nouvelles" techniques de filtrage non-linéaire pour la localisation et cartographie simultanées basée inertie-vision. Enfantin. À la fin de la journée, Édouard se demanda s'il ne s'était pas inscrit au cours d'éveil pour écoles élémentaires.

Il revint le lendemain. Même topo. Ce n'est que le surlendemain qu'il se passa quelque chose d'intéressant. Le cours fut une nouvelle fois un ramassis d'évidences qui paraissaient ennuyer jusqu'au professeur. Le froid semblait agglutiné aux fenêtres et autour d'Édouard. Le formateur l'interrogea au beau milieu de la séance, qui se voulait pratique :

- Cela vous dérangerait de faire l'exercice, jeune homme ?
- Est-ce vraiment nécessaire ?
- Bien sûr, c'est normal d'avoir peur d'échouer mais vous êtes ici pour vous tromper. Vous êtes tous, ici, pour...
-Ça suffit ! interrompit l'autre.
-Je vous demande pardon ?
-Demandez-moi ce que vous voulez, tant que ce n'est pas de faire l'un de vos exercices pour gamin de 4 ans ! s'emporta-t-il. Je n'en peux plus ! C'est ridicu...

On frappa trois coups forts à la porte. Il fut coupé dans son élan. Il se releva (il s'était agenouillé dans un mouvement de colère) pour laisser le cours reprendre, intrigué par ce qu'il y avait derrière la porte. Ce qu'il y avait derrière la porte, c'est la chose intéressante qui se passa ce jour-là.
La porte s'ouvrit.

Wattys 2040Où les histoires vivent. Découvrez maintenant