Le rouge égorge - 2

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Les premières semaines, ils se virent tous les jours. Certaines nuits, ils pouvaient faire l'amour jusqu'à... Bon, déjà, ils pouvaient faire l'amour. Lui n'était pas très endurant mais ils discutaient pendant des heures.

Elle était maladroite. Ce qui ne la différenciait pas tellement des autres femmes dans la tête du Normand. Elle avait une force de conviction inépuisable pour certains sujets (dont lui n'avait parfois rien à faire, c'est vrai). Mais, quoiqu'elle fasse, il en était soit fier, soit ému. 

Il ne se posait pas la question de savoir pourquoi elle se plaignait souvent de son propre physique, pourtant parfait, sans jamais évoquer celui d'Edouard, pourtant pas fou. Il préférait savourer son bonheur comme un bol de céréales le matin : avec l'impression de faire quelque chose de bien et d'agréable, sans effort.

Elle comprenait tout son être. Ses qualités, ses défauts. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il n'était pas vraiment manipulateur. Il était même naïf. Avec lui, elle commençait à oublier ses traumatismes. 

Il sentait à nouveau le parfum des camélias, entendait les gazouillis des moineaux. Sa vie amoureuse était parfaite. Sa vie professionnelle était normale. Il ne restait plus que le concours des Wattys 2040 à gagner pour réussir sa vie. Un beau jour, après avoir fait l'amour comme une bête (ou presque), il décida de s'installer dans une maison vacante appartenant à ses parents. Il y trouverait l'inspiration, dans le calme de la cinquième couronne de la ville. Il commença à écrire. Son idylle l'inspira, il écrivit de jour comme de nuit.

Elle l'aimait. Il n'était pas beau, certes, mais sa façon d'agir sur des coups de tête lui donnait du charme. Elle lui rendait visite dès qu'elle le pouvait. Elle aurait aimé qu'il soit plus souvent avec elle. Au bout de quelques semaines, elle le rejoignit définitivement.

Ce furent les plus beaux jours que vécurent le couple. 

-Dis, tu voudrais des enfants, toi ?, demanda-t-elle un jour alors qu'elle s'épilait au milieu du salon en regardant une série.

La question piège...

-Ben... Je ne sais pas, oui, peut-être. Et toi ? 

Elle sourit. 

-Viens là  ! Embrasse-moi ! 

Il s'exécuta mais c'était un piège. Il dut l'honorer. Ce jour-là cependant, aucun enfant ne fut conçu. Aucun dans le monde ! C'est assez rare pour être souligné. 

Mais toute bonne chose à une fin. Elle arrive parfois très vite. 

Irrité par les pages blanches, il se calmait grâce à l'alcool. Elle retrouva des bouteilles planquées dans sa Voitube. Il se trouvait moins intelligent, moins drôle sans alcool, moins social. Il avait tort. 

L'alcool était un engrenage exponentiel. Il le rendait incompréhensible, ridicule. 

Saoûl, il envoya bouler la fille de la file d'attente quand elle voulut lui faire une surprise alors qu'il travaillait. 

Elle fut profondément vexée. Ce fut comme s'il lui reprochait de ne rien faire. Ses vieux démons remontèrent malgré elle. Elle avait mis sa vie en attente pour lui. Elle n'avait prévu aucun plan B. L'agacement de l'homme qu'elle aimait lui renvoyait un autoportrait dégradant. Elle recontacta d'anciens amis.

Ce maudit concours... Il la voyait de moins en moins. Quand ils faisaient l'amour, il n'y avait plus cette magie. Tout s'arrangerait quand ils revivraient ensemble, une fois le concours gagné. Il redoubla de rage dans l'écriture. Il passa des nuits blanches à regarder l'écran noir.  Il s'épuisait.

Quand il interrompait son travail pour s'intéresser à elle, par crainte de se sentir humiliée, elle anticipait en lui racontant des anecdotes insipides sur sa journée. Elle noyait leur couple dans un flot verbal. Foutu concours ! Persuadé que toute femme parlait pour ne rien dire, il ne fut pas alerté. 

Elle ressassa ses traumatismes. Sa première rupture d'amour. Elle aussi faisait des choses intéressantes avant. C'est cette rupture qui l'avait éloignée du milieu qu'elle aimait. Elle avait tout quitté juste avant de rencontrer Édouard. 

Wattys 2040Où les histoires vivent. Découvrez maintenant